L’ETRANGE ARCHE DE NOE de SOPHIE VERGER, sculpteur

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Comme beaucoup de créateurs de sa génération, Sophie Verger essaie d’“oublier” ce qu’elle a appris aux Beaux-Arts, accéder à une création qui se ferait avec son coeur et non plus essentiellement avec sa tête ! Démarche difficile où, au stade actuel de ses réalisations, elle est parvenue à un équilibre : Certaines de ses oeuvres sont inspirées de ce qui, à un moment, a été “sa réalité”, peintures du XVe siècle, sculptures égyptiennes, Jérôme Bosch... Revues et corrigées par l’artiste, longuement préparées elles aussi par de multiples dessins préliminaires, ces sculptures rejoignent celles issues tout droit de son imaginaire ; de sorte que malgré ces “allers-retours”, l’ensemble de son oeuvre est uni.

Car c’est à la genèse d’une étrange Arche de Noé qu’assiste le visiteur : oeuvres de terre à laquelle Sophie Verger a établi une relation très chaleureuse, même si parfois elle la soumet à de drôles d’épreuves en la cirant, la teintant, la combinant à des bois, etc. Quelques thèmes semblent récurrents dans la création de cette artiste, qui sont d’expression très personnelle, fortement psychanalytique :

L’oeuf, de couleur claire, parfaitement lisse et brillant ; mais perforé par endroits, pour laisser sortir de minuscules personnages au crâne chauve, aux faces hilares, graves ou grimaçantes, à différents stades d’émergence, seuls ou en grappe, généralement polychromes. Aucune géographie définie, aucune géométrie dans les impacts de ces “naissances”, l’“enfantement” comme par accident, en somme.

Parallèlement, vient Le poisson, sorte de pleuronecte à visage épanoui comme celui de la lune de Méliès ; ouvert latéralement sur un groupe de personnages : faut-il considérer que ce ventre béant, ombreux, est métaphoriquement un lieu protecteur ? Ou au contraire, que cette enceinte (et le mot garderait son double sens) devient menaçante du fait de cette béance ? Que ce poisson, par sa connotation de mobilité est à la fois havre où se reposer et véhicule pour aller “ailleurs” ?Ou le tout à la fois ? Comme dans toutes ses autres compositions, maritimes ou non, Sophie Verger est ambiguë, ne permettant au spectateur aucune analyse définitive !

Et puis, des bêtes homomorphes, le hibou en particulier, répliques de comportements tellement humains comme celui du Rêve du randonneur, où le rapace, debout sur ce qui semble des jambes dissimulées dans le drapé d’une robe, est en train d’allaiter un enfant...Paradoxe où la créatrice serait parvenue au stade suivant celui des oeufs : à une adoption contre nature, où l’homuncule libéré serait l’enfant d’un oiseau mamelu ? Dans cette série, le plumage-robe est travaillé avec beaucoup de minutie, imprimé de feuilles, racines et même champignons... comme si l’“oiseau” était, par mimétisme, en même temps son environnement ! Comme si l’artiste, retrouvant inconsciemment toute l’importance de quelque jardin nocturne oublié, ou de quelque bois ressurgi de son enfance (et son nom lui-même serait alors étrangement prémonitoire !) le restituait poétisé dans la terre.

Cette réflexion mutagène entraîne Sophie Verger vers d’autres animaux aux regards inquiétants, vers l’arrogance des coqs et la duplicité des chats. Elle conjugue alors ses compositions sur le mode ludique, entasse ses bestioles en des empilements de chamboule-tout ; en des bas-reliefs où se côtoient, serrés comme ne faisant qu’un seul corps, les têtes de toutes les bêtes de l’imagerie populaire.

Par opposition, et très sérieusement, elle érige des sortes de centaures féminins ou masculins, abrités derrière des boucliers : elle réalise ainsi des totems, ajoutant à l’idée d’idolâtrie vouée aux animaux-fétiches évoqués plus haut, celle du respect imposé par ces puissances tutélaires ; passe donc tour à tour des réminiscences de contes enfantins, à des mythologies issues d’ancestrales racines...

Et, dans cette création multiforme, il ne faut pas oublier les masques de bois qui parachèvent l’impression de statuaire païenne ! Ni en ronde-bosse, ni janiformes, ils obligent néanmoins le spectateur à passer “derrière”, pour voir les personnages qui y sont tapis et ont l’air de l’épier comme le feraient des yeux. Contrastant avec l’austérité des visages sombres, ces petits individus en terre ivoirine, très finement travaillés, se bousculent, s’agrippent... sur la pointe des pieds se font la courte échelle... s’amusent de cet être étrange qui, de regardeur devient regardé !

Ainsi, de thème en thème, Sophie Verger explore-t-elle son monde subconscient, enrichit-elle son univers onirique, pour constituer une oeuvre originale, à la fois belle et inquiétante, diverse et unique ; encore en devenir certes, mais tellement prometteuse !

Jeanine Rivais.

Ce texte a été écrit en 2000.