Il est des artistes qui savent tellement bien ce qu'ils veulent formuler qu'ils en viennent à une sorte d'expression unique reconnaissable entre mille ! Rien de tel chez Jacqueline Grout qui, bien que peignant depuis plusieurs décennies, semble incapable -à moins que ce ne soit par volonté d'être toujours en recherche exploratoire- de proposer une "série" d'œuvres que le visiteur pourrait regrouper en une même ressemblance.

    Ce faisant, il semble bien que cette peintre soit artiste du monde entier, voire du lointain cosmos, elle qui crée des personnages qui ressemblent ou non à de "vrais" humains ; mais sont pour la plupart fantasmatiques, aux courbes idéalement incurvées, ou au contraire aux lignes droites, ou tellement tarabiscotées qu'il faut un œil exercé pour découvrir celui d'un éventuel personnage perdu dans les constructions géométriques ! 

Par contre, toute sa création se situe en un choix de sujet unique : l'humain. Ce qui ne l'empêche pas de le traiter, comme il est évoqué plus haut, en toutes formes de fantaisies ; seul le plus souvent, parfois en groupe, sans que jamais un fond signifiant permette de le situer géographiquement ou socialement ; et il apparaît que Jacqueline Grout se situe fondamentalement hors du temps, hors des aléas dans lesquels se déroule sa propre vie ; et vu sa façon picturale, qu'elle se soucie comme d'une guigne, de ce qui se déroule dans l'actualité. Et les couleurs sobres avec prédominance des ocres et des bleus, confortent l'aspect introverti de son œuvre. 

 

L'humain ! Mais où est-il, quel est-il, lorsque seuls deux yeux bleus se détachent, tels deux points d'interrogation perdus entre deux courbes qui pourraient être deux limaces (!!), n'était que leur extrémité s'épanouit en végétaux façon plante exotique aux feuilles bivalves, ou ananas aux épines largement rayonnantes ? 

L'humain : il peut se réduire à deux lunes souriantes, l'une aux yeux clos, ouverts pour l'autre, glissées au milieu d'éclairs, de triangles et autres formes géométriques incertaines. Ou à plusieurs visages émergeant en tous sens, perdus dans semblables géométries ; ou encore, contours galbés, nichés entre courbes et contrecourbes aux épaisseurs variées, parfois réduites à d'infimes linéarités.

L'humain : il peut poser en association quasi-réaliste, façon photographie de groupe compact à dominante bleue, visages très expressifs, yeux brillants, semblant méditer sur la présence du visiteur en off ! 

L'humain : lorsque Jacqueline Grout passe au "portrait", il peut avoir conquis un cou démesuré, posséder une magnifique chevelure qui a connu le fer à friser, au visage baroquement maquillé ; être présenté en buste, couple introverti, au vêtement monochrome bleu ou rouge, toques assorties, visage aux yeux sinisés. 

L'humain, placé en un souci de théâtralité, visages aplatis ; nez, front et menton ne formant qu'une seule droite ; les yeux dans les yeux, ou détournés en rejet de toute complicité ! 

L'humain et la dualité, susceptible de parfaites antonymies, entre un clown de blanc vêtu, encapuchonné, silhouetté de multiples convexités, ondulations et autres courbures ; et son opposé, fildeférisé, aux membres faits de lignes brisées, visage encadré d'un bonnet à rayures ou tête/papillon… 

 

          On pourrait citer à l’infini les paradoxes qui, chez Jacqueline Grout, jalonnent l’œuvre : entraînent le visiteur dans des histoires fictionnelles subjectives ; l’associent à des démarches contradictoires ; le conquièrent finalement par la force et la sincérité du propos... Toutes ces scènes, en tout cas, sont des œuvres de proximité, et le visiteur imagine bien l'artiste penchée sur sa toile, s'attachant à supprimer tous détails inutiles, pour ne "dire" que l'essentiel. 

          Ce qui est intéressant, c’est qu’elle ne cherche pas à produire d’effets. Chaque expression qu’elle crée naît de la parfaite communion entre son imaginaire et son envie de peindre. Elle se prend tellement au jeu qu'elle travaille de manière quasi-obsessionnelle. Elle semble trouver agréable de réaliser en toute simplicité un travail artistique, et d'être néanmoins perçue comme une artiste. 

           Ce cheminement fait que son œuvre n'est pas ''belle” au sens où l'esthétique n’est aucunement son propos. Mais ses démarches la rendent profondément sincère. Et finalement, quelle que soit leur formulation, simples ou sophistiquées, ses peintures sont, par leur totale adéquation entre irréalité et fantasmagorie, porteuses d’un message intemporel d’une puissante poésie. 

Jeanine RIVAIS 

Juillet 2023