Depuis qu'existe l'école, pédagogues, psychologues, voire psychiatres se sont penchés sur les dessins d'enfants, affirmant comme Rousseau que ces expressions sont à l'origine innocentes, "merveilleuses" parce que vierges de tout apport extérieur. S'il est apparemment vrai que les gribouillages d'un encore-presque-bébé amplifient à l'infini ses propres gazouillis ; que "chaque" bonhomme-têtard ne parle que de "chaque" enfant ; que le "test du Bonhomme" permet d'évaluer son évolution affective, une évidence apparaît bientôt à tous : en dehors d'une perméabilité croissante aux influences ambiantes (corroborant les craintes de Dubuffet quant à la perte de la virginité des œuvres asilaires), un "passage" est drastique dans l'évolution du dessin d'enfant : l'apprentissage de la lecture. 

          Tant qu'il ne sait pas lire, l'enfant "raconte" sa vie par ses dessins ; mais lorsqu'il possède ce nouvel outil fabuleux, sa formulation personnelle en est bouleversée. L'adulte parle alors de perte de son imagination.  En fait, il ne s'agit que d'un transfert de son imaginaire.  Seule, la "grande personne" a des regrets ! Et pour l'enfant, il n'y a pas de différence. Mais ne s'agit-il pas plutôt de regrets sur elle-même ? S'il lui est, en effet, facile de s'exclamer  sur la "fraîcheur", la "naïveté", la "verve", la "poésie" innées du tout petit, sa "puissance d'expression", il le lui est moins de s'affliger (sans formuler qu'elle en est généralement coupable), sur ce que cette même verve peut révéler de tragédie, de misère, de désarroi tout simplement : combien de viols d'enfants ont été révélés "par" leurs dessins  ; de témoignages de guerre revécus parmi les corps déchirés dans des champs de fleurs et de mitraillettes ?... Pour ne rien dire de tel petit garçon de six ans ne se dessinant jamais sur la "photo" de famille ; telle fillette de sept ans se peignant page après page submergée par l'eau (cette terrible corrélation à la mère !)… Heureusement, une autre placera un soleil dans chacun des coins supérieurs de son dessin, "un pour papa, un pour maman" ! 

Toutes ces étapes, toutes ces implications sont exprimées dans l'exposition 'PEINTURES D'ENFANCES" présentée à Noyers-sur-Serein  : "œuvres" recueillies par Yankel (¹) dans des classes allant de la Maternelle à la Sixième, dont il fut le visiteur assidu ; par Willem Adriaan Hollandais offrant ses coups de cœur sans souci d'esthétisme ; par Bertrand Marret, pédagogie italien ; et par le docteur Luisa Bice-Morandini, responsable d'une chaire de neuropsychiatrie infantile, proposant des dessins d'enfants caractériels et autistes.

Les mêmes schémas, au-delà des frontières, se reproduisent aux mêmes âges : l'arbre important (l'importance de l'arbre dans les dessins d'enfants !) de la fillette de six ans, française ou italienne ; les fleurs sont à cinq ans la tête en bas en Italie ou en Hollande ! Qu'importe, puisque le champ multicolore baigne son "créateur " d'une grande aura de bonheur, que l'arbre confie à la promenade, etc. 

Mais sautent alors aux yeux des évidences incontournables ; l'omniprésence de la télévision générant tous les stéréotypes médiatiques ; l'influence du milieu géographique, l'"enfant des villes" peignant ses embouteillages et en toutes saisons son environnement HLM ; celui "de la campagne" asseyant les vieux devant des maisonnettes, parlant des vendanges, des bateaux, des sages canaux ceinturant les champs minuscules émaillés de vaches tachetées… Influence encore du milieu culturel ; de l'enfant qui ne sait dessiner que la télévision, à celui à qui l'on conte des légendes, que l'on emmène au cirque, au zoo… au petit Italien qui, chez le dentiste, exprime ses commentaires en allemand… Influence toujours de l'épanouissement intellectuel et mental allant de l'humour de l'éléphant-chat grimpé dans les arbres, à la terrible forêt ployée sous le vent, dessinée avec des traits si noirs, des bistres si dramatiques, des "vides" si violents ! Impossible que cet enfant-là, quoique encore normalement scolarisé, ne soit pas un schizophrène en puissance ! Influence, enfin, de l'imaginaire, opposant le trait sage exécuté à la règle, et la magnificence polychrome d'un "Coq à l'arc-en-ciel", l'ai d'être échappé d'un livre du Lubok : la fusée fonçant roidement à l'horizontale à l'enchantement de la "petite fille à la licorne" !  

Cette licorne, capable de ramener l'adulte dans le monde fabuleux de la créativité et l'épanouissement enfantins et qui, avec la fillette-papillon à la robe ornée de personnages en ribambelles, et aux cheveux piquetés d'oiseaux, fait naître dans la gorge de l'adulte, une grosse boule de nostalgie… d'envie peut-être ! 

Jeanine RIVAIS

(¹) Yankel, peintre est, par la donation de sa collection d'Art naïf, à l'origine de la création du Musée de Noyers-sur-Serein. 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1997. PUBLIE DANS LE N° 60 DE JUIN 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. ET DANS LE N° 55 DE JUIN 1997 DE LA REVUE IDEART.