DAMIEN LOUCHE-PELISSIER

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine RIVAIS : Alors, Damien Pélissier, obsession ! Obsession ! Comment vous est venue cette passion manifeste pour les insectes ?

       Damien LOUCHE-PELISSIER : Obsession, oui tout à fait ! Je suis parvenu au monde des insectes par mon intérêt pour le monde végétal. Longtemps, j’ai été fasciné par les similitudes entre certains végétaux et les insectes, j’ai donc commencé à faire des rapprochements. Ensuite, je me suis dit qu’un insecte ne va jamais seul, ça grouille, c’est processionnaire, cela vit en fourmilière, etc. J’en ai conclu qu’il me fallait en faire un grand nombre.

 

          J.R. : Comment vous définissez-vous ? Entomologiste… 

          D.L-P. : Entomologiste de l’imaginaire ! J’ai essayé de trouver d’autres définitions, mais c’est finalement celle qui me convient le mieux.

 

       J.R. : En observant vos hordes d’insectes, je vois qu’ils sont fait avec des glands, des faines, des coques, de menus lichens, des noyaux de pêches… ou avec certains matériaux qui sont moins facilement définissables

          D.L-P. : Oui. Je vais me promener au bord des chemins. Parfois, je ne connais pas le nom des objets que je ramasse, mais leur forme m’intéresse.

 

          J.R. : Il est difficile de deviner exactement comment vous avez composé tel ou tel corselet, ailes ou autres…

        D.L-P. : Ce sont des éléments de pommes de pin ramassées dans le Midi que j’ai collées. C’est bien sûr un travail de patience, et de grande minutie. Mais à la fin, il ressemble vraiment à un corps d’insecte. J’ajoute de minuscules fils de fer pour tout ce qui est antennes et pattes. Au début, j’ai essayé de les réaliser avec de fines brindilles, mais c’était vraiment trop fragile. Alors, j’ai renoncé.

 

          J.R. : Puisque vous êtes tellement passionné d’insectes, vous pourriez comme nombre de gens chercher et trouver de vrais insectes. Pourquoi ne pas les imiter ?

          D.L-P. : Il y a des artistes qui procèdent ainsi, en particulier Jean Fabre qui réalise des robes avec des scarabées. Cela donne des résultats extraordinaires. Mais c’est une autre démarche.

 

          J.R. : Avez-vous conscience que, lorsque vous réalisez ces sortes de nids, le résultat est assez effrayant ?

          D.L-P. : Oui, bien sûr. Mais quand vous regardez une fourmilière, lorsque vous voyez des cafards, je crois que l’effet produit est le même. C’est là-dessus que je joue…

 

          J.R. : En somme, vous jouez sur la similitude bien qu’affichant la différence ; mais vous gardez le caractère grégaire des insectes ?

         D.L-P. : Oui. Et c’est ce double aspect qui est fascinant. C’est le jeu avec la matière qui m’intéresse. C’est pourquoi je n’ai aucune envie de collectionner de vrais insectes.

 

          J.R. : Et quand vous reproduisez ces petites bêtes, avez-vous le sentiment de réaliser des œuvres d’art, ou de vous amuser ?

          D.L-P. : J’éprouve un extraordinaire plaisir. Travailler ainsi sur ces objets miniatures est un plaisir de chaque instant.

 

          J.R. : Et quand vous avez terminé un de ces insectes plus vrais que vrais, au point que de loin il est impossible de deviner qu’il s’agit d’imitations, n’avez-vous jamais le sentiment d’être un imposteur ?

          D.L-P. : Si, bien sûr ! Mais c’est aussi ce qui est drôle. De même que la démarche des gens qui s’approchent sans se douter qu’une surprise les attend. Ils s’avancent pour admirer de vrais insectes, et tout à coup ils découvrent un corselet/pomme de pin, un abdomen/akène, etc. A ce moment-là, ils se sentent dupés, mais leur réaction est de sourire.

 

          J.R. : Je crois que le côté ludique de votre travail vient de cette reconnaissance. Chacun se dit : « Je me suis laissé prendre à l’apparence ! » Et vient le deuxième temps, comme par besoin de compensation : « Mais avec quoi les fait-il ? »

       D.L-P. : Oui. Et si je suis présent, les gens me regardent avec un air de complicité malicieuse.

 

          J.R. : Chacun est conquis certainement par la beauté et la hideur conjuguées de ces petits êtres. Que souhaiteriez-vous ajouter ?

          D.L-P. : Insister peut-être sur le fait que mes insectes me servent à raconter des histoires différentes selon la façon dont je les organise. C’est pourquoi je les présente toujours sous forme d’installations. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.