DEDE MACCHABEE

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Dédé Macchabée, quel drôle de nom ! Dédé qui est ambivalent, puisqu’il peut aussi bien désigner un homme qu’une femme. Et Macchabée, qui est très évocateur…

          Dédé Macchabée : C’est bien sûr un pseudonyme. Il est parti d’un fanzine que je faisais autrefois avec une amie. A cette époque-là, nous n’étions pas riches et nous ne pouvions pas faire imprimer nos dessins. Mais déjà, nous adorions les films d’horreur, et nous allions toutes les semaines au cinéma pour voir  des macchabées. 

 

          J.R. : Dans ce cas pourquoi pas « zombie » ? Dédé Zombie n’aurait pas manqué d’humour non plus !

          D.M. Oui, ç’aurait pu aussi bien être ce mot. Mais j’ai gardé « Macchabée » en souvenir du petit journal que pas mal de gens connaissaient.  En fait j’ai réalisé  mes premières toiles dans des concerts de rock, punk, etc. Pour que les gens sachent que, bien que fréquentant ces lieux,  je n’étais pas une fille perdue !

 

          J.R. : Etes-vous d’accord si je vous dis que vous êtes très proche de la bande dessinée ? 

          D.M. : Oui. Mais surtout du dessin animé. 

 

          J.R. : C’est vrai, à cause de la mobilité des personnages. En même temps, votre travail est très ludique. Vous parlez d’horreur. Peut-on parler d’ « horreur ludique » ? 

          Mais ce qui est paradoxal, c’est qu’il n’y a pas d’angles droits dans votre travail. Pourquoi  ce travail tout en rondeurs, même si de temps à autre, on trouve un angle aigu ? 

          D.M. : Peut-être parce que ce qui est rond est gentil ? Sécurisant ? Mes personnages sont tous gentils, et ces rondeurs suppriment toute agressivité. 

 

          J.R. : Pourtant, ils ont de grosses dents qui leur donnent l’air de vouloir mordre. En même temps, ils donnent l’impression de rire. Mais vous parlez d’horreur. Suggérez-vous une horreur physique ?Tout de même, il y a une ambiguïté dans leurs comportements : je vois l’un d’eux en train de remonter une clef pour mettre l’autre en marche. Ce qui suggérerait une complicité. Mais il est tellement au-dessus de lui qu’il semble l’écraser : on se demande finalement ce qu’il va lui faire ? 

          D.M. : Je dirai qu’ils sont gentils, mais qu’ils n’aiment pas qu’on les embête. Ceci dit, chacun peut y voir de qu’il veut.

 

          J.R. : A la réflexion, il est exact que vous soyez plus proche du dessin animé que de la bande dessinée, parce que toutes vos scènes sont prises en gros plan ?

          D.M. : Parfois seulement. Je n’ai pas de règle, j’emploie tantôt les gros plans, tantôt des plans éloignés… tout dépend de mon humeur.

 

          J.R. : Comment définissez-vous vos personnages ?

          D.M. : Ce sont des êtres interstellaires ! Qui ont atterri sur terre à un moment donné. Et qui habitent désormais dans un jardin enchanté. Ils s’y sont plu et ils y sont restés. 

 

          J.R. : Ils semblent en effet beaucoup s’y plaire, puisque, apparemment, ils sont dans toutes les situations d’un quotidien très terrestre : en train de cueillir des cerises, de jouer au passe-boules, à la marelle. Ailleurs, ils trinquent… 

Pourquoi ce parti-pris de les mettre dans cette quotidienneté terrestre ? S’ils sont des extra-terrestres, ils pourraient être dans un quotidien apporté lors de leur venue ?

          D.M. : Non, parce qu’ils font maintenant partie du mien.  En particulier Grump, le premier arrivé sur terre. 

 

          J.R. : Qu’aimeriez-vous ajouter sur votre œuvre, qui me paraît à la fois attirante et déconcertante ; amusante et impossible à imaginer dans mon propre quotidien. Pourriez-vous essayer de m’expliquer ce qu’ont d’ « étranger » vos personnages,  qui fait que je ne parviens pas à les assimiler ?

          D.M. : Je ne sais pas.

 

          J.R. : Au fait, pour reprendre votre expression de tout à l’heure, comment peut-on « les embêter » : Bien que décrits dans des occupations terrestres, ils sont tellement installés dans leur vie, dans leur cadre privilégié… qu’ils appartiennent à un monde à part : en fait, ils sont sur terre, sans y vivre comme les Terriens ?

          D.M. : Ils vivent dans la Tour Enchantée, parce que notre monde contemporain ne leur paraît pas très accueillant.

          Et il m’est très difficile d’ajouter quoi que ce soit, car c’est la première fois que je parle de ce que je fais. Mes personnages ne se soucient pas de plaire…

 

          J.R. : Je conçois tout à fait cela, et là n’est pas du tout la question ! Mais, puisque vous êtes anecdotique, ce qui m’intéresse est de savoir comment « votre » anecdote se relie à celle des autres artistes ? 

          D.M. : Je ne sais pas. Je suis incapable de répondre intellectuellement à vos questions. Il faudrait que je réfléchisse ! 

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          Quelques semaines après le festival, Dédé Macchabée m’a écrit une très longue lettre, résumant sa démarche : 

          "… j’ai trouvé une réponse aux questions que vous m’avez posées… et auxquelles j’ai été incapable de répondre… tout simplement parce que personne, en dix ans, ne m’a posé ce type de questions (pas même moi)…

          Est-ce que vous vous souvenez de Casimir, ce monstre orange… qui passait à la télé dans « L’Ile aux enfants » ? Mon compagnon Manu a été le premier à me dire que je peignais du « Casimir sous acide ». Bref, j’ai été  nettement et inconsciemment influencée par ce personnage et son monde.

          Elle explique ensuite sa prise de conscience de cette influence, sa rencontre avec Yves Brunier, le Casimir de naguère, et l’importance d’une interview imaginaire de cet auteur par lui-même : [A l’époque, je reprochais aux textes d’être trop coupés de la réalité et de donner une image idyllique de la vie. Tout se passait dans un monde imaginaire idéalisé et préservé. Avec le recul, je réalise que ce côté intemporel fait que l’émission n’a pas vieilli. Dans la violence et l’agressivité quotidiennes de la réalité d’aujourd’hui, l’enfant a besoin de se retrouver dans un univers de paix et d’harmonie]…

          Plus loin, elle explique combien elle est désarmée face à cette violence où le plus fort « doit » écraser le faible. Et elle ajoute : [Mes monstres ne sont pas des saints, non plus : ils ont des défauts. Ils sont gourmands, maladroits, mauvais joueurs, sadiques ou salaces parfois…

La notion d’intemporel est importante aussi. Mes monstres ne vieillissent pas, même les petits monstres restent petits…]

          Et, après un long paragraphe où elle explique combien elle est sans défense aussi contre la mort, elle poursuit : [Pourquoi faut-il arrêter de jouer à la poupée ? Pourquoi faut-il commencer à mentir, à jouer la comédie, entrer dans un monde de convenances… Pourquoi faut-il obéir, et entrer dans les cases prévues à cet effet ? 

          Maintenant, je suis une adulte : je suis un être libre, sans Dieu, et sans Maître… Et j’emmerde ceux qui disent que je fais de la peinture pour les enfants…

          J’espère que tout ce que j’écris n’est pas trop embrouillé, cela m’arrive de n’être pas très claire lorsque je suis émue…]

     Mais oui, Dédé Macchabée, tout cela est très clair, et si tous les artistes étaient capables comme vous  de réfléchir sur l’importance de leur œuvre, en dénicher le caractère vital et laisser éclater une aussi authentique émotion, l’Art singulier aurait encore devant lui de bien belles années !

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.