EMMANUEL ALBRAND

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Emmanuel Albran, vous définissez-vous comme un créateur d’Art-Récup’ ? 

          Emmanuel Albrand : Peut-être. Mais je préfère « Chasseur-cueilleur ». Mes œuvres sont toutes faites avec des objets que j’ai trouvés, qui ne sont en aucun cas achetés dans un magasin…

 

          J. R. : Je vous proposais cette définition, parce que vous choisissez des objets qui ont un petit air rétro, usé… Des objets, en somme qui ont un passé.

          E. A. : Et surtout des objets de la nature. Des morceaux de nature.

 

          J. R. : Si nous choisissons ce petit personnage que vous avez intitulé « Atlas » et qui est donc supposé porter le monde, c’est un monde en pierre ponce ? Comment associez-vous des matériaux « cueillis » de façon aléatoire ? Et que faut-il pour que leur association soit pour vous signifiante ?

          E. A. : Il est difficile de répondre à votre question. Tout ce que je ramasse ou cueille s’entasse à l’atelier ou dans le garage. Il y a des objets que je choisis pour leur esthétique, d’autres qui possèdent une charge émotionnelle, d’autres qui me font penser à autre chose… Mais tout ne sera pas utilisé. Il y en a, des bois flottés par exemple, pour lesquels je n’ai pas eu le déclic, qui ne se sont pas « associés » avec d’autres et qui retournent à la cheminée. 

          Comment les réunir ? Je mettrai cela sur le coup de l’inspiration. Il y a des moments où deux objets « veulent » s’associer. Je pense à un thème que je voudrais traiter. Je commence donc à fouiller dans mes réserves. Des objets vont alors s’imposer et l’œuvre va être commencée. Parfois aussi, un objet induit le thème. En fait, je fonctionne dans les deux sens. 

 

          J. R. : Si je prends cet objet qui doit être rarissime dans la nature puisqu’il a la forme d’un croissant de lune, avec une protubérance pour le nez. Est-il vraiment comme vous l’ayez trouvé, ou êtes-vous intervenu pour appuyer la forme préexistante ? 

          E. A. : Je n’interviens jamais sur la forme. Soit elle est adéquate pour ce que je veux exprimer ; soit elle ne sert pas. Ou elle servira pour une autre forme. Vous pouvez conserver pendant des années un caillou sur votre table, le toucher, lui parler, vous raconter une histoire en le tenant dans votre main… Et voilà que, soudain, il est « devenu quelqu’un ». 

 

          J. R. : Pourquoi est-ce important pour vous que ces objets aient l’air usés, modelés, ravinés… par des éléments naturels ?

          Nous avons devant nous un oiseau qui, de toute évidence, EST un albatros. Aviez-vous en tête, quand vous l’avez réalisé, la symbolique poétique de cet oiseau ? 

          E. A. : Il est fait à partir de plusieurs os. Je fais de nombreux objets avec des os !

 

          J. R. : Voudriez-vous nous donner quelques autres précisions sur votre démarche ?

          E. A. : Je tiens à réaffirmer que je suis toujours près de la nature. Je suis un peu montagnard et presque méditerranéen, c’est la raison pour laquelle j’ai à la fois des galets et des objets flottés, des os, etc. 

 

          J. R. : Quand vous utilisez des bois ou des os, pour réaliser une œuvre, il est évident que la corrosion s’arrête du fait qu’ils sont désormais à l’abri… Mais quand vous ajoutez des cheveux ou des plumes, avez-vous conscience qu’ils ne peuvent pas être aussi pérennes que les premiers ? Est-ce que vous revendiquez cette absence de pérennité ? Vous arrive-t-il de couvrir vos œuvres de vernis, par exemple ?

          E. A. : J’ai conscience de sauver ces objets de la destruction. Mais, même pour les objets fragiles, j’ai toujours à l’esprit l’idée de leur conservation. 

          Je ne les couvre jamais de vernis pour leur garder leur aspect naturel. Tels qu’il sont venus de la nature. Je n’utilise non plus jamais de colle. Je mets des chevilles en bois, de la ficelle, de sorte que je puisse séparer les éléments si je le souhaite, et tout est démontable. S’ils sont incapables de résister au temps, je ne les utilise pas. Ceci dit, il peut arriver qu’ils tombent… C’est leur vie propre. Ce n’est pas parce que je les ai sortis d’un contexte où ils auraient péri que leur vie est arrêtée. 

          Je travaille sur peu d’éléments à la fois, souvent trois, pour que le sens soit évident et que chacun puisse s’y projeter. 

 

          J. R. : Quelle connotation donnez-vous à votre œuvre ? Avez-vous le sentiment qu’elle est ludique, sérieuse, que vous refaites le monde, etc. ? 

          E. A. : Je ne refais pas le monde. Je crée des histoires. A chaque spectateur de plaquer dessus son imaginaire, je ne lui impose rien. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.