LES RACINES RETROUVEES DE SASSI LAHBARI

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          Lorsque le petit Sassi, à peine débarqué d’Algérie, entre pour la première fois dans une église et fait connaissance avec la peinture et la statuaire chrétiennes orthodoxes, ce spectacle bouscule dans sa tête d’enfant, tous les critères culturels arabo-musulmans. Il découvre soudain une iconographie sublime qui l’entraîne, contre les influences familiales, vers une culture qu’il ne comprend pourtant pas bien.

          Les années passent. Sassi Lahbari, dans sa vocation de peintre, cherche à accomplir un travail gestuel, écho de ses premières émotions, où les corps  seraient dynamisés, les visages expressifs, les regards directs. Tentatives vaines car, chaque fois l’artiste naissant éprouve le sentiment de rester sur place, figer son intention du mouvement, bref être incapable de braver les tabous ancestraux qui, inconsciemment, restent tapis en lui ! Et puis

un jour,il assiste à un spectacle de danse libre. C’est le déclic ! Il commence à reproduire les gestes des danseurs, suivre avec sa plume les courbes et les voltes du corps dont il saisit enfin la réalité et qu’il parvient à appréhender.

          Le reste du parcours de Sassi Lahbari est une sorte de réconciliation entre deux civilisations qui se bousculent en lui : Il a “appris" à présenter des corps en mouvement, mais il les dessine avec des calams, ces sortes de bambous taillés qui servent à la calligraphie arabe. Et il les met en scène sur des fonds sépias, la couleur de la terre africaine séchée par le soleil. Longtemps, comme le font depuis toujours les hommes de son village, il fabrique lui-même cette encre faite de laine de bélier grillée dont les concrétions additionnées d'eau lui donnent le liquide brunâtre dont il a psychologiquement besoin. Ainsi envahit-il progressivement les laizes de papier sur lesquelles il déploie ses “mini-fresques”; et sur ces couleurs, le trait sublimé en vient-il à des  corps potentiels.

          La première étape franchie, son  imaginaire permet à Sassi Lahbari de recréerles parties manquantes, multiplier ses propres chorégraphies picturales, composer, accoupler de petits personnages très stylisés, filiformes, proches finalement des arabesques des alphabets sémitiques. Familiarisé avec sa création, s’y sentant à l'aise de n’avoir rien renié de sa culture première. Il désire désormais aller au-delà des signes pour insérer dans son œuvre son poids de vie.  

          Depuis lors, évoluent pour lui et le plaisir du visiteur, des farandoles de petits danseurs au corps magnifiquement proportionné, aux jambes bandées dans un grand écart ou relevées en un bond spectaculaire : leur attitude entière manifeste une élégance et une humanité impensables à priori chez des petits êtres réduits aux formes les plus linéaires ! Et faut-il voir un hasard dans le fait qu’ils ramènent une fois de plus la peinture à sa terre, en offrant au regard une fraîcheur et un mystère analogues à ceux des bergers qui, dans les grottes de Jabbaren, au fond du désert de Tassili, accomplissent leurs rites millénaires ?

Jeanine RIVAIS

LAHBARI SASSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS :  N° 56 de Décembre 1995, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA, dans le cadre du 2e festival de Praz-sur-Arly. Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SYR-ARLY 1995