CORINNE VALLIERE, sculptrice

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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Jeanine Rivais : Corinne Vallière, je découvre votre travail. Et ce que je découvre me laisse penser que vous peut-être, n’êtes pas très tordue, mais que vos personnages le sont ! Pourquoi sont-ils si absolument monstrueux ?

Corinne Vallière : Pour moi, ils ne le sont pas du tout ! Par contre, ils sont en évolution, en métamorphose permanente. 

 

J. R. : Vous considérez donc qu’ils sont là, juste après leur naissance ? A un moment où ils ne sont pas encore formés ?

C. V. : Pour moi, tout au long de la vie, on n’est jamais complètement formé. On se transforme continuellement. C’est du moins ce que j’espère.

 

J. R. : Tout de même, ils sont tous lourdement handicapés : l’un, le plus gros n’a qu’une partie de corps, qu’une main, à moins que l’autre ne soit cachée sous son ventre ; deux jambes complètement disproportionnées, et une tête sans cou ! Un autre a les jambes qui se mélangent avec ses bras : Est-il exagéré de dire qu’il sont handicapés ?

C. V. : Je ne les vois pas non plus de cette façon ! Mais par contre, j’ai vécu au contact de handicapés. 

 

J. R. : En somme, il faut vraiment examiner chacun de vos personnages sous tous les angles, pour parvenir à saisir leur anatomie ? 

C. V. : Oui. Mais pour moi, ce personnage que vous regardez a un bras qui se transforme en tête d’oiseau. Tout est mobile. J’ai l’impression qu’en fait, je vois le corps par l’intérieur. Je suppose toujours les transformations. J’ai envie de suggérer la transformation ou l’amorce de la transformation. 

 

J. R. : En aucun cas, vous ne devez supposer que le vocabulaire que je vous propose soit péjoratif. Mais ces personnages qui sont des mutants, me paraissent très « laids ». Regardez ce visage qui, en lui-même est beau : il n’a pas de menton, et ce qui « devient » le corps ressemble à un goitre !

C. V. : Oui, on peut le voir comme cela, même si ce que vous dites me paraît curieux ! Pour moi, ici démarre le corps de l’oiseau. Mais je suis prête à toutes éventualités. 

 

J. R. : Tout de même, si nous considérons les sculptures plus petites, plus animalières, elles présentent également chaque fois un problème. Ces êtres sont en train de crier : que crient-ils ?

C. V. : Je crois que l’important est de leur avoir donné la parole ! Ils hurlent ce qu’ils ont à dire, à coup sûr. Pour moi, chaque œuvre a beaucoup d’humour, à la limite de la provocation. Du moins c’est ce que je voudrais suggérer. Mon trophée est un trophée de rat, pas d’humain. 

J. R. : Quant aux tout petits personnages qui sont à l’abri dans la vitrine, ils sont complètement a/normaux. Ils ont à peu près tous les éléments attendus, mais ils sont chamboulés. L’un a une corne, l’autre un bec… 

        Est-ce du raku ? Tout ce noir qui ressort sur des parties que l’on attendrait jaunes ou roses, accentue le côté  « anomalie » du personnage. J’imagine que s’ils étaient émaillés comme le font nombre de sculpteurs, ils ne donneraient pas le même sentiment.

C. V. : Ce sont des grès à très haute température.  Et je ne supporterais pas d’émailler mes sculptures ! 

          Pour moi, la sculpture doit être la plus sobre possible, de façon à être directement appréhendée. Il ne faut pas trop en dire, par la couleur. J’en dis déjà suffisamment.

      Je m’interroge toujours sur l’être humain, sur la transformation de l’humain, le devenir peut-être. Quand je vois un être humain,  je le transpose déjà. Je le vois aussi animal et inversement. Pour moi, il n’y a pas d’anormalité. Chaque être a des caractéristiques en soi, que je saisis au vol, souvent sans le vouloir.

 

          J. R. : On pourrait donc définir vos personnages comme des humains/animaliers, ou des animaux/humains ?

          C. V. : Oui. La relation est pour moi absolument indispensable. Ils sont indissociables. 

 

          J. R. : Comment en êtes-vous venue à cette philosophie et à cette création ?

       C. V. : J’y suis venue progressivement, mais les premiers petits modelages datent de presque 30 ans, quand j’ai découvert l’argile. Je voulais dessiner, puis j’ai tenté de donner du volume à mes dessins, j’ai commencé de tourner autour d’eux. J’ai alors trouvé que l’argile était un matériau fabuleux. J’ai progressivement augmenté le volume, jusqu’à avoir une conception spatiale. Et le fait d’avoir maintenant cette conception, me donne une différence de recul, l’illusion que je pourrais avoir une vision lointaine de la terre… une vision presque cosmologique.

 

          J. R. : Vous voulez dire que vous seriez toujours placée au-dessus et vous les verriez en plongée ?

           C. V. : Oui. En tout cas, une vision plus lointaine, plus distante, plus globale. Je trouve que l’espace est fabuleux  

           J. R. : Vous êtes donc une artiste pleinement heureuse au milieu de ce que j’ai osé appeler vos petits « monstres » ?

          C. V. : Oui. Tout à fait. Il y a évidemment des moments où j’ai des douleurs à exprimer. Mais ce n’est pas ce qui me motive. A la limite, j’aime ajouter un petit côté sarcastique pour aller au-delà des travers humains, faire preuve d’humour, sans me contenter d’être caricaturiste. J’ai envie de parler des émotions, des contradictions… du « borderline » en chacun de nous. 

 

          J. R. : Pouvez-vous préciser les thèmes que vous abordez de préférence ?

         C. V. : J’ai apporté plusieurs sculptures qui les représentent bien : J’ai une femme qui est un peu chauve-souris mais qui peut aussi être un ange ; un enfant qui est comme une carte à jouer : moitié loup, moitié enfant ; une grande sirène. Et un être souvent appréhendé comme monstrueux, qui est en fait un homme en train d’accoucher de lui-même !

 

          J. R. : Nous sommes, dans son cas, bien au-delà des travers, et nous entrons dans la psychanalyse ! 

          C. V. : A en juger par les réactions des gens face à mon travail, il est évident que chez moi, c’est l’inconscient qui parle ! J’essaie de comprendre leurs réactions, mais le fait que l’inconscient soit omniprésent représente la définition même de l’art. Après, à chacun de prendre ce qu’il peut.

 

           J. R. : Vous êtes très épanouie, très souriante : On pourrait donc dire que votre sculpture est un moyen d’exprimer tout ce qui n’est pas très clair en vous ? 

          C. V. : Oui. Il y a eu, dans le passé, beaucoup de tracas, et maintenant mon travail m’aide forcément à m’épanouir. Je peux dire que c’est aussi une thérapie, parce qu’il me serait absolument impossible de m’en passer ! Je suis bien quand je travaille. Cela me permet d’exprimer des sentiments qui vont au-delà de mes sentiments propres, d’élargir le monde autour de moi. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.