CHRISTIAN PINAULT

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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Jeanine Rivais : Christian Pinault, voici quelques jours, au cours d’une conversation à bâtons rompus, j’ai proposé pour qualifier votre travail, le terme d’ « Art-Récup’ » et vous m’avez dit qu’il ne vous convenait pas. Alors, quels mots souhaitez-vous voir employés ?

Christian Pinault : Je ne travaille pas que dans la récup’. J’ai d’autres travaux de céramique. Et puis surtout, je n’aime pas trop les étiquettes !

 

J. R. : Bien sûr. Mais c’est maintenant un terme convenu pour tous les créateurs qui réalisent des sculptures à partir d’objets récupérés. Pourquoi ce mot vous gêne-t-il tellement ? Et dans ce cas, comment définissez-vous votre travail ?

Ch . P. : Je le laisse aux personnes qui revendiquent cette dénomination. En fait, je ne définis pas mon travail. Il est exact qu’il est fait avec des objets de récupérations. Mais c’est tout.

 

J. R. : Et la présentation que vous en faites est impressionnante en ce sens qu’il ne propose que des visages. Vous ne présentez que l’homme en fait. 

Ch. P. : Oui, en effet. 

 

J. R. : Et si –rarement- je vois des personnages entiers, ils sont résolument longilignes.

Ch. P. : Pour moi, c’est le morceau de bois qui détermine cette forme. Ce sont des planches de bateaux, des bois d’épaves, qui ont donc été malmenés par la mer. Je tire partie de ces matériaux, roulés, patinés. Certains sont peints ; d’autres bruts et je les laisse tels quels.

 

J. R. : Ces visages ont tous les éléments constitutifs d’un visage réaliste. Mais tous ont la bouche largement ouverte : Est-ce que ces personnages crient ?

Ch. P. : Pas tous, sans doute. Certains sont muets ! Pas beaucoup, c’est vrai.

 

J. R. : Dans ce cas, que crient-ils ?

Ch. P. : Ils revendiquent, je crois. Mais, dans l’ensemble, je ne sais vraiment pas ce qu’ils crient. 

 

J. R. : Vous avez bien expliqué que vous vivez au bord de la mer, donc que vous utilisez essentiellement des bois flottés ; que vous respectez l’usure du temps, le travail des flots… Cependant, sur beaucoup d’oeuvres, vous avez ajouté des coquillages qui leur donnent un petit côté précieux. Est-ce une influence des masques africains, des Dogons en particulier ?

Ch. P. : Oui. Je revendique tout à fait l’influence africaine. J’aime infiniment l’art africain. Je suis allé voici quelques années, en Afrique, au Burkina Faso, travailler avec des potiers. Je reconnais cette influence, tout en espérant l’avoir un peu transformée. Et en sentant que jamais je ne réaliserai des œuvres aussi fortes que dans l’Art africain où elles sont porteuses de tellement de sens. Ces statuettes-là ne sont certainement pas faites pour la décoration.

 

J. R. : Je vois également un petit tableau fait de trois semelles sur lesquelles vous avez collé de la céramique ?

Ch. P. : Oui. Ce sont des morceaux de briques. De peau. Etc.

 

J. R. : Vous exposez avec une association qui s’appelle « Brut de painsé ». D’où vient ce terme ? 

Ch. P. : L’initiateur de cette association est Jean-Jacques Petton qui travaille lui aussi avec des bois d’épaves et qui avait rassemblé dix artistes pour une exposition à Brest. Exposition qu’il avait intitulée Brut de painsé, « painsé » étant le nom breton pour définir tous ces objets que l’on trouve sur les grèves.

 

J. R. : « Brut de painsé » qui vous convient bien, commence par « brut ». Pensez-vous que votre travail relève de cette démarche ? Etes-vous autodidacte ?

Ch. P. : Il me convient au sens où c’était le titre de l’exposition. Je suis autodidacte et j’ai « bricolé » très tôt ; j’ai commencé très jeune à faire de la peinture. J’ai fait quelques études pour être concepteur-étalagiste. J’ai été étalagiste dans un grand magasin, Le Bon Marché, pour ne pas le nommer. Ensuite, je me suis mis sérieusement et exclusivement à la peinture et la sculpture. 

Mon travail n’est pas « brut » dans la définition de l’ « Art brut ». Il l’est par la texture du matériau.

 

J. R. : En effet, la plupart du temps, vous laissez ce matériau intact. 

Ch. P. : Oui, à l’exception des cernes pour les yeux ; quelques touches de blanc pour les dents. Mais c’est tout.

 

J. R. : Je vois certains tableaux qui sont réalisés sur des ardoises ?

Ch. P. : Non. Ce sont des panneaux de bois qui sont peints et patinés avec une poudre métallique. 

 

J. R. : Et de quelle matière sont faites les minuscules sculptures qui accompagnent les grandes ?

Ch. P. : Comme je l’ai dit au début, je mène parallèlement aux sculptures de bois, un travail de céramiste. Bois flottés et céramique constituent donc mes deux formes d’expressions. 

 

J. R. : Mais vous les avez patinées de telle sorte qu’elles ont l’air d’être en bois ?

Ch. P. : Oui, avec cette terre qui est ensuite enfumée, je peux obtenir des objets qui ont l’air d’être en bois brûlés. 

 

J. R. : Enfin, je vois sur la table des dessins très structurés, mais en même temps très jetés, très spontanés. Ils sont également de vous ?

Ch. P. : Ce sont des dessins que j’avais faits à la suite de mon voyage en Afrique. Des portraits de potières. Elles sont teintes au brou de noix, avec des encres.

 

J. R. : Question traditionnelle : Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez-vous évoquer et dont nous n’avons pas parlé ?

Ch. P. : Dure question ! Non, je ne vois pas du tout ! 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.