FRANCIS PARENT : “ENTENDRE L’ECRIT” , recueil de textes critiques

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          "Entendre l’écrit”, voilà un titre paradoxal qui situe bien, apparemment, l’attitude de Francis Parent face au monde de l’art. “Entendre” ne semble pas être le problème de ce critique  qui, omniprésent dans les expositions officielles et parfois plus marginales, depuis près de trente ans, est à l’évidence sur le pied de guerre contre tout ce qui est surfait ; à l’écoute de tout ce qui est “création” authentique, imaginative et de préférence militante. Plus proche du propos exprimé dans le livre, semblerait donc être “Faire entendre” l’écrit. Car il y a beaucoup d’amertume, d’exaspération de la part de l’auteur, conscient d’écrire le plus objectivement possible une histoire de l’art ; d’essayer depuis plus d’un quart de siècle de remettre à l’heure des pendules artistiques qui ont complètement perdu la boule ; et de se trouver, pour cause de phénomène de modes et de privilèges, dans l’impossibilité quasi-totale de “faire entendre” ses protestations ! 

 

Dans cette optique, l’ “écrit” ne saurait plus se limiter au simple support. Il s’agit du contenu, de la dénonciation des invraisemblables non-créations d’artistes compromis dans des magouilles florissantes, depuis (sans doute même avant, mais c’est devenu plus confortable) qu’existe un Ministère de la Culture auquel se sont acoquinés la quasi-totalité du monde muséal, celui des galeries et des marchands (deux mots trop souvent péjorativement synonymes) ; celui de la presse spécialisée (d’ailleurs il faudrait bien y jeter aussi en vrac les “pages” des quotidiens qui pêchent dans les mêmes eaux troubles !) ; celui des milieux politiques qui, depuis Lang grand responsable de l’institutionnalisation du copinage, sont devenus absolument superposables. Avec, pour Francis Parent ("Le Temps du mépris"), le regret supplémentaire évident de constater que désormais, le Parti Communiste se situe dans les mêmes optiques que les partis de droite ("Art contemporain", "Art contemporain et religion" : "Vers la fin des haricots...?"), etc. Quand l’auteur  parle d’“écrit”, il entend donc une création “sur” l’art ; des analyses susceptibles d’apporter un éclairage “autre” sur le monde des plasticiens ; une vigilance jamais démentie quant à l’absence ou la présence de certains noms dans des expositions supposées fixer la situation nationale et internationale artistique à une date donnée ; une attention particulière aux problèmes sociologiques inhérents à certaines démarches artistiques ("Créations, mot féminin pluriel"), comme la place des femmes dans ce monde : Défilent alors des noms qui se sont imposés à la force du... pinceau ou de la gouge, ou qui, grâce à leurs initiatives, ont marqué l’histoire de l’Art de la deuxième moitié du XXe siècle (Mirabelle Dors, Concha Benedito, Lydie Arickx... avec d’ailleurs un oubli regrettable, celui de Cérès Franco qui a été la seule à défendre pendant des décennies des artistes difficiles à qui personne ne s’intéressait alors), etc... Bien sûr, cet “écrit” qui n’est ni simple complaisance, ni redondance des oeuvres, pourrait être dérangeant (au fond, le serait-il vraiment pour des protagonistes de si longue date implantés dans l’officialité, qui ont la couenne dure et toute honte bue ?) ; mais pourquoi perdre de la place, tolérer les coups de griffes, avoir l’air de cautionner quelqu’un “qui n’est pas de la famille”, quand on est si bien entre soi ?

     Car c’est le second paradoxe de l’attitude de Francis Parent ; le biais par lequel il se sent particulièrement impuissant et malheureux ; et qui jalonne son ouvrage : la rage au coeur (que l’on retrouve d’ailleurs à un moindre degré chez Laurent Danchin*et avec beaucoup plus d’humour chez Pierre Souchaud**) de ne pouvoir se faire entendre dans ces médias tout-puissants, au même titre que les “élus”, alors qu’il possède les mêmes diplômes, les mêmes critères, et sans aucun doute possible une culture infiniment plus étendue. Mais, d’avoir assez d’honnêteté intellectuelle  pour ne pas se parjurer ; rester volontairement et quoi qu’on en ait, hors de la “voie dite royale”.

      Conçu en une série de textes parus au cours des vingt dernières années ; très bien écrit, extrêmement documenté, à la fois divers et d’une égalité de ton remarquable,  "Entendre l’écrit" illustre donc la démarche contestataire de son auteur ; détaille ses “rencontres”, ses antagonismes, ses choix picturaux et politiques...

          Et c’est à ce propos que se situe peut-être le troisième paradoxe de ce livre : Son intérêt primordial, consiste à se situer dans la résistance. Car il est bon que des gens respectueux du public et des artistes (Pierre Souchaud, Laurent Danchin, Jeanine Rivais, Francis Parent donc, d’autres sans doute...) fassent front contre les bien en cour, compromis dans le réseau Ministère=subventions à galeries, artistes (commandes), revues (glacées et luxueuses)=mode = imitation de ces courants-mode= mensonge, absence de créativité, introuvabilité autre que médiatique du pseudo-créateur dont l’oeuvre est si parfaitement coulée dans le moule= dissimulation de son indigence derrière un “dit” hermétique et interminable, destiné à la compenser : la boucle est-elle bouclée ?... Peut-être d’ailleurs est-ce aussi un besoin de fin de siècle pour ces “marginaux” de la critique de prendre feu et flamme contre les officiels bien plus préoccupés d’élargir leur place au soleil de l’institution, qu’à se préoccuper des créateurs ?

     Mais, dans cette marginalité, il faut bien admettre que se dessinent deux courants : l’un dans lequel évolue Francis Parent, celui qui fouaille l’“Establishment”, mais comme il est dit plus haut avec exactement les mêmes référents que lui, même si c’est pour le vilipender (la meilleure illustration en est l’exposition organisée par lui, fin de l’hiver 2000, au Siège de la CFDT, Espace Belleville : "Promesses pour les années 2000", où seuls Davor Vrankic, Kenza Benjelloun, Monia Abdelali et pour l’humour Philippe Pluchart, étaient de véritables “créateurs”, les autres pouvant calquer leurs oeuvres  sur celles qui inondent Paris...). Cette similitude et ce paradoxe sont peut-être encore accentués par la présence sur la couverture d’ "Entendre l’écrit" de la magnifique et douloureuse créature de Glamocak  hurlant son cri existentiel. Et puis, il y a les critiques  qui, délibérément, ont choisi d’ignorer cette frange de créativité (?) ; de partager les destinées d’ artistes qui l’ignorent aussi ou qui, en ayant exploré les arcanes et évalué le vide et les dangers, s’en sont écartés ; ceux encore qui en sont si loin qu’ils ne sont même pas inclus dans le label “Art contemporain” : les créateurs hors-les-normes, nombre de Singuliers dont la résurgence psychanalytique est si forte qu’elle prime la “forme” de leur oeuvre...  Francis Parent dont l’étendue du savoir de l’histoire de l’art et de ses protagonistes, mouvements, etc. semble infinie, connaît leur existence, il en cite même quelques-uns dans son ouvrage (Crespin, Gauthier, etc.), mais pour les classer dans des tendances d’Art populaire (d’ailleurs, dans ces officiels qu’il étrille tout au long de son livre, beaucoup ont “senti le vent” et sont en train de commencer à plagier ces inconnus ou presque,  voire dans le cas de quelques galeristes, à essayer de leur acheter pour trois fois rien bien sûr, l’ensemble de leur oeuvre). Finalement, et c’est sans doute la limite de cet ouvrage raisonneur, passionnant et courageux, il faut gravement faire intervenir  la morale et l’éthique ;  dire que son auteur serait sans doute beaucoup plus heureux s’il admettait qu’il est bon de  vivre ailleurs que dans l’orbe de l’Institution ; et s’il consacrait sans états d’âme,  son talent qui est grand à oeuvrer côte à côte avec les “marginaux-volontaires”  en train d’élaborer “l’autre” –la vraie- histoire de l’art !

Jeanine RIVAIS

 

FRANCIS PARENT : “Entendre l’écrit, recueil de textes critiques”. Introduction de Gérard Xuriguera. Préface de François Derivery. : E.C. Editions, 84 boulevard Magenta, 75010 Paris.130FF. 

*Laurent Danchin : L’Art contemporain et après... Phénix Editions, 13 rue Chapon, 75013. PARIS. 80FF.

**Pierre Souchaud : Art contemporain, territoire de non-sens, etat de non-droit E.C. Editions, 84 Bd Magenta 75010. Paris. 70FF.