BANN'ART, DIX-HUIT ANS DE SURPRISES ET DE DECOUVERTES ! 

 

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BANN'ART DE 2002 A 2019 : ENTRETIENS ET TEXTES ANNUELS

 

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BANNE 2002  

TROISIEME FESTIVAL D’ART SINGULIER

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Qu’est-ce qui, en ce XXIeme siècle, alors que la mouvance hors-les-normes commence à avancer en rangs bien dispersés, génère encore une motivation suffisante pour créer et animer annuellement un festival d’Art singulier ? Sans doute un intérêt depuis longtemps vivace, un brin de nostalgie, beaucoup de passion, et l’amour des artistes ? Il semble, en tout cas, que telles soient les raisons qui ont poussé Marthe Pellegrino, la Présidente du tout jeune festival de Banne, à s’investir de façon bénévole, quasiment sans subventions, à créer un très beau catalogue, et à investir pour la troisième fois, son joli village perché à flanc de montagne ?

Quoi qu’il en soit, la sélection 2002 était un très bon cru, même si deux ou trois artistes totalement concernés par l’art officiel contemporain, n’appartenaient pas à la mouvance singulière ! Peintres, sculpteurs,  collagistes, créateurs d’Art-Récup’ formaient une équipe vivante, multiforme, très colorée, respirant la jeunesse du cœur et de l’inspiration.

Il faut dire que, pour quiconque n’a pas trop mal aux jambes, ce village est idéal, car il permet, entre deux visites, de se ressourcer en flânant sur la place ombragée de platanes ; d’admirer le paysage avoisinant, avant d’« attaquer le morceau suivant » : car les exposants sont répartis en quatre lieux : l’un classique, la salle de réunions jouxtant la mairie ; l’autre déjà tout imprégné de souvenirs culinaires et de peinture, l’atelier de Lamo ; le troisième (à mesure que l’on monte des escaliers biscornus usés par le temps et les pas des générations qui les ont foulés), chargé de mystère, la Grotte du Roure. Enfin, tout en haut (devant une vue à vous couper le souffle), et toutes chargées d’histoire, et de piaffements de chevaux, les anciennes Ecuries du château !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ETE PUBLIE DANS LE N° 71 DE FEVRIER 2003 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA

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REALISATION DE 38 TEXTES

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BANNE 2003  

QUATRIEME FESTIVAL D’ART SINGULIER

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          Pour la quatrième fois, le petit village de Banne, dans l’Ardèche, a perdu son calme ! Cinquante-neuf artistes, en effet, ont, en 2003, de nouveau rompu son calme et sa sérénité, et envahi de leurs œuvres multiformes, des lieux devenus soudain bourdonnants d’activité ! 

 

          Après un vernissage qui eut toute la convivialité souhaitée, car nombre d’exposants avaient respecté la consigne de réaliser des chapeaux "originaux", le visiteur put, tour à tour, entrer de plain-pied dans les Ecuries ; se nicher dans l’intimité de la Grotte du Roure ; escalader un escalier pittoresque pour parvenir à la confidentialité de la Maison de la Cheminée ; essayer de retrouver la solennité de l’Eglise ; s’asseoir et bavarder longuement au milieu des œuvres accueillies par Lamo dans son atelier. 

 

          Quant à la qualité de cette énorme exposition, elle était indéniable, haute en couleurs, attestant de la diversité des imaginaires et de la créativité des participants. Une belle manifestation, organisée par Marthe Pellegrino, fondatrice de ce festival ; que venait enrichir un magnifique catalogue en couleurs dans lequel chaque artiste disposait d’une page.  

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 74 TOME 1 DE JUILLET 2004 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

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BANNE 2003 / 2009

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REALISATION DE 34 ENTRETIENS ET 24 TEXTES

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BANNE 2004 

Textes perdus ou envolés ? 

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BANNE 2005

ART SINGULIER, ART D’AUJOURD’HUI

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     Lorsque Jean Dubuffet décidait d’appeler "Art brut" et de faire reconnaître comme un art à part entière des dessins, collages, peintures, sculptures… réalisés dans le secret asilaire ou carcéral, dans l’anonymat de jardins de campagne… envisageait-il la vague d’étonnement et d’enthousiasme qui s’ensuivrait ? Lorsqu’il décidait de muséifier les œuvres de ces créateurs toujours coupés du monde, pensait-il susciter autant d’intérêt ? Et lorsqu’il interdisait l’emploi du terme " Art brut" pour toutes les œuvres autres que celles de sa collection, imaginait-il le nombre infini de vocables qu’il allait générer ? 

          Toujours est-il que, refusée par la France et implantée à Lausanne, la Collection de l’Art brut et la Neuve Invention devint le lieu de référence de cette frange de créations qui avaient suscité l’admiration sans retenue de Max Ernst, Paul Klee, Kubin, Breton, Aragon, etc. Dans son orbe, fleurirent de nouveaux musées (La Fabuloserie, L’Aracine, le Site devenu Musée de la Création Franche, l’Art en Marche…) ; se développèrent des revues (Gazogène, l’Amateur, Les friches de l’Art, Regard… surtout le Bulletin de l’Association les Amis de François Ozenda, qui pendant trente-cinq ans fut le témoin fidèle et sans exclusive de cette aventure). Et puis, à partir de 1990, naquirent des festivals créés par des artistes soucieux de grouper autour d’eux des gens d’un même esprit, mais à la création multiforme : Festival de Roquevaire, d’abord, sous la houlette de Danielle Jacqui Celle qui peint. Puis celui de Praz-sur-Arly où Louis Chabaud mobilisa le village entier pour créer autour des artistes invités, un puissant climat de convivialité. Enfin, il y eut Banne où Marthe Pellegrino et son complice, Jean-Claude Crégut, maire, décidèrent d’implanter annuellement un Festival d’Art Singulier.

          Situé en Ardèche, Banne, joli village accroché au flanc d’une colline, a de tous temps eu vocation artistique. Il s’agissait donc de changer cette vocation, donner aux Ecuries qui dominent un paysage grandiose, à la Grotte, à la Maison de la Cheminée, etc., mission de transformer une simple promenade en périple jalonné de surprises, interrogations, voire admirations. Finalement, une telle décision convenait très bien à cette région puisque, à quelques kilomètres de là, Candide et son Petit Musée du Bizarre, avaient depuis plusieurs décennies, introduit dans la région, la plus primitive Singularité. 

          Praz-sur-Arly passé au chapitre des regrets, Roquevaire ayant choisi d’autres orientations, Banne se retrouva seul, et prit activement le relais : en quelques années, la demande s’accrut dans de telles proportions, qu’il fallut à Marthe Pellegrino déployer des trésors d’imagination pour canaliser ce flux. Il faut dire que, de prime abord, elle prit très au sérieux son rôle de prospectrice et de promotrice de l’Art Singulier. Depuis, chaque manifestation conforte sa réputation de découvreuse, où elle invite une importante proportion de "nouveaux", souvent de complets inconnus, d’autres dont c’est la première exposition, etc. Et "Banne" étend désormais sa renommée bien loin de sa colline originelle ! 

          Par ailleurs, consciente depuis le début du danger pour un festival, de s’enfermer dans des chapelles, Marthe Pellegrino a depuis l’origine, adjoint aux Singuliers, quelques exposants dont la création plus raisonnée, moins viscérale, les rattache davantage à l’Art contemporain qu’à la mouvance hors-les-normes. Cette année, elle a officialisé cette mixité en augmentant le nombre d’éléments "extérieurs" et en changeant la dénomination de son festival devenu "Art Singulier, Art d’aujourd’hui".

          Quel impact aura ce choix sur l’avenir et l’exemplarité de cette exposition ? L’Art Singulier désormais présenté en toute contemporanéité, saura-t-il conserver son originalité, sa marginalité ? Cette décision constitue-t-elle une précaution face à un possible détournement de sens et d’esprit ? Ou bien s’agit-il simplement de passion, de goût du risque ? Qui sait ? Souhaitons, en tout cas, que cette conjonction de deux tendances qui, jusque-là s’ignoraient, ne modifie pas trop la tonalité du festival. Et que subsistent longtemps encore les symphonies de couleurs éclatantes et le " dit " si chaleureux et puissamment psychologique, qui caractérisent la mouvance singulière.

 

     Jeanine RIVAIS

 

BANNE 2005  

On recherche tous documents photographiques s'y rapportant !!!

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BANNE 2006

OU EN EST L’ART SINGULIER ?

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          D’abord il y eut l’"Art brut", mot créé par Jean Dubuffet pour désigner l’Art asilaire qu’il collectionnait avec la plus vive curiosité. Ce faisant, il amorçait une ère où entraient en scène des autodidactes jusque-là oubliés derrière les murs de leurs asiles, en milieu carcéral, ou seuls au fond de leur jardin, moqués, méprisés, considérés comme des fous, à tout le moins des marginaux. Ces gens-là sculptaient sur tout ce qui leur tombait sous la main ; peignaient sur les plus invraisemblables supports ; collaient mies de pain, papiers et épluchures ; composaient poèmes ou pictogrammes… se souciaient comme d’une guigne des réactions qu’ils suscitaient… créaient simplement pour souffrir moins ; oublier leur solitude ; sans conscience ni volonté d’être considérés comme, ou de devenir des artistes. Sans désir, surtout, de vendre ces œuvres qui embellissaient leur vie, et le cadre souvent sinistre dans lequel elle se déroulait. Et soudain, leurs productions furent reconnues, encensées, exposées, muséifiées même ! Et tandis que ces créateurs anonymes qui s’étaient mis à l’ouvrage en toute ignorance du monde extérieur, demeuraient en leurs huis clos, leurs œuvres devenaient un art à part entière et prenaient la clef des champs. En même temps, Jean Dubuffet, interdisant aux autres, l’emploi du terme "Art brut" , déclenchait une véritable déferlante de néologismes (L’Art immédiat ; les Friches de l’Art, La Création franche, l’Art cru, l’art intuitif, l’Art spontané, l’Art médiumnique, l’Art du bord des routes, l’Art insitic (inné), l’Art différencié, l’Art en marche, l’Art en marge…) Néologismes sortis de l’imaginaire de gens concernés par ces créations étranges ; et qui, finalement, s’inscrivaient toutes dans une même démarche solitaire, un même esprit riche, foisonnant, protéiforme ; s’intégrant au fil du temps à une mouvance qui, après l’Art hors-les-Normes d’Alain Bourbonnais, et les Singuliers de l’art, allait constituer l’Art Singulier.  

          Mais, rétorque-t-on souvent, tout art ne doit-il pas être singulier ? Bien sûr que si ! Mais dans le cas de l’Art Singulier, il y fallait des majuscules, car sa connotation si particulière, tellement spécifique désignait outre l’originalité et le talent autodidactes, des créations situées dans une absolue marginalité. 

 

          Plus d’un demi-siècle s’est écoulé. Le terme "Art brut" qui aurait dû demeurer entre les murs du musée de Lausanne, n’en finit pas de courir le monde. Dans le même temps, que s’est-il passé dans le microcosme de l’Art Singulier ? En sont devenus partie prenante, nombre de gens formés par les Beaux-arts, soucieux de se libérer des carcans, et sincèrement désireux de trouver dans cette marginalité, une fraternité, une convivialité qu’ils ne trouvaient nulle part ailleurs. Quoi qu’il en soit, fini la seule création autodidacte ! Une nouvelle vague était née, qui traversa plusieurs décennies. Mais ces nouveaux venus non plus " indemnes de culture artistique "¹(¹) mais possédant souvent de solides connaissances, étaient trop remuants pour rester dans le monde réservé où étaient cantonnés leurs prédécesseurs. La mouvance Singulière grandit de façon tentaculaire, conservant encore, heureusement, beaucoup de fraîcheur et de sincérité. Et puis, très vite, elle commença à essaimer…

 

          Aujourd’hui, l’Art Singulier, porteur de tant de richesses, de fantasmes et de formes tellement inattendues, continue à susciter surprise et émotion. Mais il s’exprime désormais dans un champ aussi large et diversifié que l’Art contemporain. Souvent côte à côte avec lui, d’ailleurs. Dans ces conditions, il reste à se demander combien de temps il résistera au chant des sirènes, et préservera sa si passionnante hors-normalité ?

                                                       Jeanine RIVAIS   

 

** Jean Dubuffet. 

BANNE 2006

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REALISATION DE 40 ENTRETIENS

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BANNE 2007 

 HUITIEME  FESTIVAL D’ART SINGULIER

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          Banne a vécu, cette année encore, ses deux festivals d' "ART SINGULIER, ART D'AUJOURD'HUI". Comme d'habitude, le nombre d'exposants a été, les deux fois, considérable. Quant à la foule, elle a été fidèle aux rendez-vous fixés par Marthe Pellegrino, fondatrice et organisatrice de ces manifestations ; et de Jean-Claude Crégut, Maire de Banne, qui met chaque fois à la disposition du festival, les lieux désormais devenus symboles de la fête : Les Ecuries, la Grotte du Roure, la Maison de la Cheminée ; et cet été la salle de la mairie.

Comme aux précédents festivals, un somptueux catalogue a donné à chaque artiste une page abondamment illustrée en couleurs.

          La tradition veut que tout le monde -organisateurs et exposants- arrive chapeauté de la manière la plus originale. 2007 n'a pas failli à la tradition. Afin d'immortaliser cette coutume, PIERRE LE HINGRAT a photographié avec humour et précision, chaque visage enchapeauté. Qu'il en soit remercié, et permette à chaque entretien réalisé avec les artistes, de s'orner d'une de ces réalisations !

          A Banne, les prochaines élections municipales verront partir à la retraite, Jean-Claude Crégut, et arriver un nouveau maire. Souhaitons que ce dernier comprenne toute l'importance prise par ce village de caractère dans le monde de l'art. Et qu'il permette à la manifestation d'être toujours aussi prestigieuse. Rendez-vous en 2008 !

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PREFACE DU CATALOGUE

BANNE,ENCORE !

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          Comme les précédentes, hautement singulière sera l'année 2007, dans le petit village de Banne en Ardèche, qui proposera aux spectateurs toujours plus nombreux, son double festival. Double par sa dénomination qui présente désormais deux facettes artistiques : "ART SINGULIER, ART D'AUJOURD'HUI". Double par sa performance, car la demande se faisant de plus en plus multiforme et pressante, Marthe Pellegrino, son instigatrice et animatrice, a dû prévoir deux expositions annuelles.

          Multiforme le festival de Banne, parce que, autodidactes ou non, les artistes qui estiment être de la mouvance singulière, créent la plupart du temps pour répondre à l'urgence d'extérioriser leur moi profond, embellir leur vie d'œuvres ancrées dans leurs racines. Subséquemment, osant sans états d'âme les "dits" les plus inattendus, ils y déclinent à l'infini humour, souffrance, quotidien ; y affirment leurs associations inimitables de couleurs, formes et matières ; y bousculent et enchevêtrent leurs graphies, leurs pictogrammes… qui dansent autour de personnages plus fantasmagoriques que réalistes.

          Multiforme encore, parce que ceux qui, au contraire, se revendiquent de l'art contemporain, y proposent une gamme de compositions plus éclectiques, plus raisonnées parfois, plus cérébrales souvent. Allant de créations assez proches des œuvres singulières, pour lesquelles la différence tient à la seule volonté des artistes de se situer dans la contemporanéité ; à des recherches totalement "techniques" effectuées à partir d'outils les plus modernes : ordinateurs et logiciels spécialisés, etc.

Pressante enfin, la demande, du fait que cette frange singulière grouillant en marge de l'art dit "contemporain", lui est désormais presque partout confrontée**. Or, même si le phénomène est en train de se produire à Banne, ils ont encore dans ce lieu la possibilité d'étaler leur richesse créative, dynamique, imaginative.

          C'est pourquoi il est réconfortant que, pour les neuvième et dixième fois, -et souhaitons-le, pour bien d'autres fois encore- Banne soit voué à voir fleurir en ses lieux devenus mythiques et aux noms pittoresques (Les Ecuries, la Grotte du Roure, la Maison de la cheminée), son incontournable manifestation picturale et sculpturale, sereine, " évidente ".

Jeanine RIVAIS

** En effet, seuls subsistent le "Festival d'Art singulier" créé et pérennisé à Roquevaire (Bouches-du Rhône) par Danielle Jacqui Celle qui peint, et " Bann'Art, Art singulier, Art d'aujourd'hui " qui, comme il est dit plus haut, enrichit de sa diversité, le Centre de l'Ardèche. D'autres essaient de naître. Souhaitons-leur bonne chance.

BANNE 2007 

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REALISATION DE 42 ENTRETIENS

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BANNE 2008 

UN TOUT PETIT PEU D'HISTOIRE… SINGULIERE

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          Fallait-il qu'il fût bien choisi, ce mot "ART BRUT" pour que, près de soixante-dix ans après son "apparition", alors qu'il serait supposé demeurer exclusivement entre les cimaises du Château des Bergières à Lausanne, il n'en finisse pas de battre la "campagne singulière" !

Il est vrai que, lorsque Jean Dubuffet le "créa" dans une lettre, il définissait des milliers d'objets issus d'univers asilaires et carcéraux. Longtemps ignorés ou considérés avec la plus grande indifférence, voire le plus total mépris. Enfin pris en considération par des psychiatres au début du XXe siècle, et devenus "Art asilaire".

          Et voilà qu'avec l'avancée de ce siècle, s'éveillait l'intérêt humain, psychologique et collectionneur de gens comme Arnulf Rainer… Que des peintres (Max Ernst, Paul Klee, Kubin…), des écrivains et des poètes (André Breton, Henri Michaux…) émus par l'ouvrage de Marcel Réza, "L'art chez les fous", et surtout par celui de Prinzhorn "Expressions de la folie" ; considéraient "comme leurs pairs", ces créateurs inconscients d'avoir du talent, et "qui s'étaient mis à l'ouvrage, en toute ignorance, derrière les murs de leurs asiles". Au fil des années, l'"Art brut" résumait ces intérêts et ces passions et devenant "histoire", se retrouvait muséifié par celui qui l'avait sorti de son anonymat…

          Mais, sous la houlette d'Alain Bourbonnais, Michel Ragon, Roger Cardinal, Madeleine Lommel, etc., la seconde moitié du siècle voyait apparaître au grand jour, d'autres créations aussi étranges, aussi puissamment psychologiques, voire psychanalytiques. Ces nouveaux passionnés tentaient de les organiser ; de canaliser sous de nouveaux vocables, leur foisonnement anarchique : Avant et indépendamment de tout le monde, Candide installait dans son Petit Musée du Bizarre, des œuvres d'Art populaire paysan. En 1975 était inaugurée à Lausanne, la Collection de l'Art brut et la Neuve Invention, Jean Dubuffet ayant autorisé le transfert des œuvres qui, jusque-là, " vivaient " rue de Sèvres à Paris.

          Puis, vinrent les années 80 : 1983, naissait La Fabuloserie. 1986, l'Aracine installée à Nogent-sur-Marne, devenait officiellement musée ; et la Halle Saint Pierre abritait désormais le Musée Max Fourny d'Art naïf. 1989 le Site de la Création franche prenait corps à Bègles et dix ans plus tard devenait Musée de la Création franche. Leur succédaient, les complétant, se chevauchant ou prenant quelque distance, l'Art cru Museum à Monteton puis à Bordeaux ; l'Art en Marge à Bruxelles ; l'Art en Marche à Lapalisse et Hauterive. Plus éclectique, la Collection Cérès Franco d'Art contemporain à Lagrasse… d'autres moins grands, moins connus… Tous aussi passionnés et passionnants.

          Le temps a passé. L'un après l'autre, ces musées fêtent leurs vingt ans. L'Art singulier ou Art hors-les-normes a pris le pas sur l'Art brut, ou le côtoie, puisque décidément il refuse de disparaître ! Dans l'intervalle, sont nés, sont morts, ou continuent leur démarche quasi-militante de vulgarisation, des festivals consacrés à ces créations marginales. Aujourd'hui, la Singularité galope, évolue, se rapproche de l'Art contemporain… Attendons !

Jeanine RIVAIS

BANNE 2008 

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REALISATION DE 36 ENTRETIENS

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BANNE 2009

VOUS AVEZ DIT SINGULIERS ? HORS-LES-NORMES ? CONTEMPORAINS ?

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          De quels noms ne les a-t-on pas traités, depuis qu'ils ont été dénichés derrière des murs jusque-là bien clos ? Ils ont été, tour à tour ou en même temps, asilaires, bruts, singuliers, hors-les-normes, outsiders… marginaux toujours. Imperturbables, ils ont avancé ! Ils ont conquis géographiquement et picturalement, un champ de plus en plus vaste. Et un jour, à la fin du XXe siècle, ils sont arrivés à Banne.

          Une fois là, il s'agissait de conquête, dans cette région aride, où les points culturels sont éloignés les uns des autres, et pas toujours prêts à accepter ces créateurs étranges, non-conventionnels ; bousculant tout classicisme par leur dynamique picturale, leur colorisme exacerbé, leurs déséquilibres et leurs dissymétries chaotiques, leurs expressions à la fois vraies et fictionnelles… Rêveurs, naïfs, bouleversants, provocateurs, dans l'urgence toujours. Proposant des oeuvres où l'on perçoit, plus qu'ailleurs peut-être, la force du dialogue entre eux et leur production souvent indiscrète car elle révèle crûment leurs combats.

          Au demeurant accueillants, éclectiques, puisque depuis deux ans, dans le cadre de "Bann'Art", un nouveau label jusque-là antithétique, a rejoint les leurs. Que finalement, eux, les " oubliés " de l'Art contemporain, ils ont sans états d'âme, accepté de côtoyer ceux qui s'en réclament. Et que, désormais, sans hiatus, parfois même avec des airs de famille, les uns et les autres sont prêts à assumer la mosaïque des peintures et des sculptures artistiquement enchaînées comme les rimes assonantes ou volontairement dissonantes d'un poème… Désormais, donc, ayant banni les chapelles, les labels, les appellations de moins en moins contradictoires, ils occupent et se partagent des espaces aux noms à la fois chargés de quotidien et de rêve : la Salle des fêtes, les Ecuries, la Maison de la Cheminée et la Grotte du Roure.

          Subséquemment, le Festival de Banne est devenu en une presque décennie, sous la houlette de sa fondatrice, Marthe Pellegrino, et de son maire et complice, Jean-Claude Crégut, le haut lieu de la création dissidente, celle qui emplit d'admiration et de plaisir, le cœur des visiteurs. Une manifestation dont, chaque année, le public toujours plus nombreux, et les artistes invités, lisent à regret le mot "fin". Une fin qui n'en est pas une, heureusement… A l'année prochaine !

Jeanine RIVAIS

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VICENTE BONACHEA

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          Vicente Bonachea, sorte de Douanier Rousseau cubain, vit-il dans une éternelle nuit d’un bleu variant entre marine et indigo ? Toujours est-il que, d’œuvre en œuvre, le visiteur se trouve devant de drôles de paysages ou plutôt des absences de paysages, puisque ce qui est certainement l’habitat de ce monde étrange est apparemment réalisé à partir des végétaux d’une probable flore tropicale (noix de coco, peut-être, châtaignes, stipes de palmiers...). Dans ces habitacles, cohabitent humains et animaux (singes, panthères, boas, poissons…). En fait, il est difficile d’affirmer qu’ils "cohabitent", car où commence l’humain et où l’animal, lorsqu’un corps costumé et cravaté est surmonté d’une tête de coq visible en transparence dans un tronc d’arbre ? Qu’un serpent sort d’un oeuf, ce qui serait logique, mais lorsque cet œuf a quatre pattes, voilà qui l’est moins ? Qu’un corps de femme magnifiquement galbé a deux escargots à la place des seins ? Ou qu’un singe se retrouve avec une queue d’oiseau-lyre ?... 

          On pourrait à l’infini citer les "anomalies" du monde de Vicente Bonichea. Mais ne sont-elles pas simplement les truchements de son imaginaire, du plus complet onirisme ? Un onirisme paradoxalement structuré. Car là où il attendrait un inextricable enchevêtrement floral, le spectateur ne voit qu’éléments bien ordonnancés. De sorte qu’il est partagé entre ses propres fantasmes lui parlant de la beauté somptueuse de vénéneuses plantes tropicales, et ceux de l’artiste, sortes de huis clos aux occurrences surprenantes. 

          Une œuvre belle, néanmoins, présentant une grande unité de style, originale et… inquiétante !

      Jeanine RIVAIS 

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LUIS LARA CALANA

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          Il y a quelque chose d’émouvant dans le côté obsessionnel présenté par l’œuvre de Luis Lara Calana. Non par manque d’imagination, mais comme un rêve cent fois repris, dont l’effet rémanent se répèterait d’écho en écho. Comme s’il cherchait, captait, perdait et retrouvait un homme parvenu à différents stades de désagrégation ou de construction. 

          Pourtant, son œuvre infiniment sombre, n’essaie pas d’être réaliste : il peint des têtes émergeant d’une sorte de magma indéfini, aveuglées souvent par un masque ; et lorsque ce masque est absent, les yeux fixent un point d’un regard vide quasi-enfoui sous des paupières boursouflées sur lesquelles retombent, telles des coulures, de rares cheveux malsains, raides et secs. Et, lorsqu’il s’agit apparemment d’un personnage féminin accroupi et nu, sa tête disparaît dans le fond noir… 

Car, en fait, ces êtres "émergent-ils", inachevés, de ce magma où fouit le peintre ? Ou au contraire, sont-ils en train d’y disparaître, vieillis et délitescents ? Le noir et le blanc qu’il utilise presque exclusivement ne permettent pas de définir leur "destination", mais génèrent simplement une impression d’un mélange dramatique de durable et d’éphémère, une sorte de tragédie humaine sans cesse recommencée. 

          Quoi qu’il en soit, le soin et le talent avec lesquels Luis Lara Calana leur donne "vie" dans la mort, ou "mort" dans la vie, font que le spectateur, sensible à l’intensité qui en sourd, a le sentiment d’une totale adéquation entre création et imaginaire, d’un message intemporel d’une poésie puissante. 

J.R.  

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ALBERTO JESUS MEDINA CANTERO

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          Un masque cache une identité ou la révèle. Le port du masque, dans toutes les civilisations, implique l’habileté à en assumer une nouvelle. Cet objet est donc le témoignage le plus signifiant d’un patrimoine culturel, même si de nos jours ces traditions se perdent peu à peu. 

          C’est ce que semble penser, peut-être regretter Alberto Jesus Medina Cantero, dont l’œuvre est entièrement tournée vers la réalisation de masques. Et, alors que nombre de sculpteurs ont essayé de copier le règne animal afin de s’attribuer ses fonctions naturelles d’adaptation, lui se consacre exclusivement au visage humain. 

          Qui plus est, à des visages de tissus, sur lesquels il exerce son talent à l’aiguille, leur donnant un aspect paradoxalement confortable et hiératique, chacun réalisé grandeur nature : l’un est d’étoffe noire unie, aux cheveux ébouriffés ornés de breloques colorées : un autre est à fleurs…L’un constitue un nid douillet dans lequel sont lovés des œufs polychromes ; un autre arbore un visage de clown tors et bariolé… Un autre encore porte un cimier finement découpé de têtes bêches, dont la hauteur implique une solide habitude à le soutenir, etc. 

         Chaque fois, s’impose pour l’artiste le même cérémonial : créer un visage tout simple, mais immédiatement évocateur. Chacun ayant une personnalité si différente des autres, bien que toujours sereine, que l’ensemble génère une atmosphère fantasmagorique capable de faire rêver le visiteur, l’emmener vers son propre monde de croyances ancestrales, vers le mystère des aventures incognito, vers les fastes du Carnaval, qui sait encore ?...

J.R.

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MARY CARY DIAZ

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          Dans quel monde étrange vit donc Mary Cary Diaz ? De quelles obsessions est-elle la proie, pour peindre à l’infini des scènes aussi insolites ? 

          Ses nombreuses figures à l’indéniable beauté et à la plastique parfaite sont-elles les jalons de ses angoisses qu’elle chercherait à transfigurer sur la toile ? Ou, bien est-ce par pur narcissisme, qu’elle peint des jeunes filles idéalement galbées, aux seins délicatement mamelonnés, et de jeunes Adonis aux corps amoureusement modelés par le pinceau, aux sexes entourés de fruits ou de fleurs ! De sorte que, par anticipation de plaisirs érotiques, elle créerait autour d’elle une atmosphère de fête permanente ?

          Différente apparemment de ce travail érotico-esthétique, une autre démarche, beaucoup plus fantasmatique, très proche du Surréalisme, pourrait en fait être la concrétisation des états d’esprits de Mary Cary Diaz, et du mal-être évoqué plus haut : jeune adolescente aux cheveux/feuilles et au corps androgyne tatoué de motifs floraux, l’air effrayée parmi des troncs  phalliques et de minuscules personnages stylisés, dansant autour d’elle ; jeune femme chauve, assise sur ce qui fait penser à une énorme larve, moulée dans un justaucorps pellucide, les yeux bandés, en train d’écouter son cœur posé sur ses genoux ; femme aux yeux hagards, enfouie dans un grouillement d’animaux marins. Femme encore dans la splendeur de sa robe de faille, de laquelle semblent éclore des sortes d’homuncules qui gravitent autour de son visage, etc. 

          Ainsi, l’univers duel de cette artiste la plonge-t-il dans les entrailles de la peinture, pour donner corps à une œuvre inclassable, d’une absolue liberté spirituelle et formelle, obsessionnelle, théâtrale et fascinante. 

J.R.

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SANDRA DOOLEY

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          Au premier abord, le spectateur pourrait penser que l’œuvre de Sandra Dooley est, tel un journal tenu quotidiennement, une relation de la vie cubaine. Mais un second examen dément cette notion de nationalisme, voire de régionalisme. 

          Car, cette femme paisiblement assise à sa fenêtre, son chat sur les genoux ; cette famille réunie autour de la table du petit déjeuner ; cette jeune fille en robe de bal, aux cheveux coquettement nattés… sont de nulle part et de partout, de nul temps et de toujours. Une seule connotation s’impose à l’évidence, et peut-être l’ambiguïté vient-elle de là, c’est qu’il s’agit de milieux sociaux modestes : la vaisselle semble plutôt banale, les personnages vont pieds nus, les tableaux aux murs, grossièrement cousus, suggèrent qu’il s’agit d’œuvres populaires… Et tous ces détails attestent que l’artiste connaît parfaitement les milieux qu’elle peint.  

          Alors, régionaliste ou universelle, l’œuvre de Sandra Dooley ? Qu’importe ! Dans ses petits moments de vie, ou dans son universalité, ce qui fait l’originalité et le charme de son œuvre, c’est le sentiment de paix qui s’en dégage, né des couleurs douces, harmonieuses ; de cette façon bien à eux qu’ont les personnages de se pencher vers l’autre ; de toutes ces ambiances débonnaires, ludiques et graves, où triomphe la fantaisie tendre et poétique de cette démarche éminemment personnelle. 

J.R.

Catalogue (couverture) / V. Bonichea / L. Calana / A. Cantero / M. Diaz / S. Dooley
Catalogue (couverture) / V. Bonichea / L. Calana / A. Cantero / M. Diaz / S. Dooley

 

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JOSE FUSTER bâtisseur de l'imaginaire

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          Chaque pays a, depuis toujours, ses illuminés, généralement autodidactes, que l’on a essayé de classer parmi les artistes bruts, plus souvent parmi les Naïfs. Des gens qui ne se sont pas contentés de créer des objets, mais ont bâti des lieux destinés à illuminer leur vie qu’ils jugeaient trop médiocre. Or, tellement différents les uns des autres, ces bâtisseurs de l’Imaginaire sont inclassables. Bien plus, leur démarche fait d’eux la quintessence de l’Art marginal. 

          Que dire de José Fuster, ce créateur qui a investi son quartier dans les faubourgs de La Havane, le couvrant de ses peintures, sculptures et céramiques ? Les frontons des maisons proposent désormais en hauts reliefs, des scènes du quotidien… Des fresques murales conduisent à l’école des enfants, au-dessus desquels volent des chauves-souris/vampires…Des sièges invitent le passant au repos…  Dômes et arcatures cisèlent le ciel. L’église elle-même, telle la Sagrada Familia, n’a pas échappé à l’obsession créatrice de José Fuster… Immobiles au long des rues, des personnages contemplent la foule, la vraie et celle de l’artiste, les regardant fixement de leurs grands yeux noirs, tandis que des mains se tendent vers tous les horizons… 

          Comment résister à la fascination ? Puisqu’elle vous prend et vous emmène au hasard des rues et ruelles du faubourg. D’autant plus grande que si certains bâtisseurs ont construit des œuvres monumentales, suscitant davantage le respect que l’intimité ; José Fuster a gardé à la sienne, des dimensions humaines. 

          Alors, visionnaire, ce créateur débordant de poésie, qui a passé sa vie à percer le mystère des vieilles pierres anonymes et offert aux quatre éléments, son grand talent et l’apport fraternel de ses propres pierres ? Visionnaire ? Assurément. 

 

J.R.

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JOSE FUSTER peintre

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          Bâtisseur de l’imaginaire, José Fuster a investi son quartier dans un faubourg de la Havane, le couvrant de peintures, sculptures et céramiques. Sur un mode plus intimiste, il est également peintre de la vie campagnarde et de la culture caraïbe. 

          Sur sa toile, naissent tour à tour, des orchestres de rues ; une palmeraie où laboure un paysan ; un homme chapeauté, portant sur sa tête sa femme enfermée dans un globe marial ; des spectateurs souriant à quelque scène incongrue… 

          Mais ce qui fait la surprise et génère le côté ludique et bonhomme de l’œuvre de José Fuster, c’est la récurrence du coq : il sort de la bouche de la chanteuse d’orchestre ; bondit du dos du bœuf ; se perche sur l’épaule de l’homme ; s’assied au milieu des spectateurs…

          Alors, qu’est-ce que ce volatile peut bien signifier dans l’œuvre de l’artiste ? Symbolise-t-il, comme souvent dans l’Art populaire le courage et l'agressivité ? Ou encore la ponctualité et la fiabilité puisque, pluie ou beau temps, il annonce l'aube et donc l'arrivée de la lumière ? Ou bien faut-il remonter encore plus loin, jusqu’aux époques reculées de l’esclavage, lorsque le coq local était sensé protéger les cases contre le « mal airu », le mauvais esprit ? Pour ne rien dire des rites vaudou, au cours desquels cet animal se retrouve souvent dans la ronde sacrificielle ! 

          Quoi qu’il en soit, paysans au travail, musiciens accompagnant une fête, coqs s’égosillant, etc. sont les images par lesquelles José Fuster atteste de son imprégnation intense du monde rural cubain. Ses œuvres fraîches, spontanées, chaleureuses et humoristiques, font de lui un des meilleurs témoins de l’imagerie populaire de cette île.

J.R.

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NOËL DIAZ GALA

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Choisir de réaliser des totems, c’est revenir à des valeurs ancestrales, avoir en tête des tabous, des légendes, des peurs intimes et refoulées ; subséquemment des exorcismes à réussir, des dieux à convaincre, des esprits protecteurs à vénérer. 

Il semble bien que ce cheminement en quête de ses antiques croyances, africaines ou haïtiennes, soit la préoccupation de Noël Diaz Gala qui réalise, sous forme de sculptures, des œuvres d’autant plus attachantes qu’elles ont été arrachées au cœur d’arbres chenus, témoins du passage de temps immémoriaux. Et dont les formes longilignes originelles semblaient attendre sa main pour devenir des créatures monstrueuses, d’une très brute simplicité : Individus aux corps noueux, aux visages effrayants, parfois humains dans la terreur de leurs yeux exorbités et de leurs bouches pincées ; parfois bifaces à têtes de rapaces ; parfois luttant contre de hideux serpents ; d’autres fois encore, dépositaires de bien inquiétantes reliques… 

Ainsi, entre menaces à conjurer et besoin de protection, Noël Diaz Gala réussit-il une véritable osmose entre son quotidien et des mythes et rites qui le ramènent aux lointaines cultures caraïbes dont il est issu. 

 

J.R.

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FRANCISCO GORDILLO

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          De quels contes de fées sont donc issus les "enfants" de Francisco Gordillo ? Car il s’agit bien d’enfants aux yeux mutins, curieux … aux minois sérieux, espiègles, compassés, rieurs… Mais des enfants que quelque Geppetto cubain aurait taillés à coups de serpes, car leurs anatomies sont on ne peut plus fantaisistes ! 

          Posés au milieu du tableau, ils sont placés sur des fonds non signifiants, créés à lourds traits du pinceau chargé de peinture, formant des fonds noirâtres, bleu foncé, ou jaunes maculés de bruns qui génèrent les harmonies lumineuses sur lesquelles ils sont "mis en scène". Lumineuses mais douces, car l’artiste est un vrai coloriste, qui sait les faire chatoyer, en générant à la surface, une sorte de brume indéfinie…  Mais surtout, il sait garder à l'oeuvre un côté non achevé, non apprêté, comme si elle était en devenir ; comme si toutes les mutations y étaient encore possibles… 

          Et des mutations, ces « enfants » semblent en avoir subi, avec leurs têtes couvertes de cheveux/élytres, cheveux/oiseaux, cheveux/paille comme ceux des épouvantails, cheveux/couronne de lauriers, etc. Encore plus aléatoires sont leurs vêtements, jupes ou sortes de sacs informes sur lesquels sont « tagués » ici une tête percée de flèches, là une main tenant un cœur, ailleurs des dentelles …  (ce qui, soudain, soulève le problème du sexe de ces petits êtres ?)

          Et que font-ils ? Ils regardent le spectateur, le prenant à témoin qu’ils sont les protagonistes d’une œuvre sereine dans toute sa plénitude !

 

J.R. 

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RAMON MANGLAR

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          "Il était une fois…". Ainsi pourrait s’intituler chaque œuvre de Ramon Manglar. Car cet artiste « vit » dans le monde du conte. Un monde à la Lewis Caroll où bêtes et gens se parlent et se comprennent ; où une enfant (une fée ?) joue avec un ballon orné de visages animaliers sur fond d’autres ballons (de mondes en mouvement ?) et de guirlandes ; où sur pavé rouge et fond noir, « vivent une histoire » ici  un individu à toque moyenâgeuse protégeant contre les intrus son coffret apparemment… vide ; là un équilibriste installé sur un parapluie, en appui sur un cheval cabré, semblant fuir dans un incendie de nuages, tout en regardant loin au-dessous de lui, la foule minuscule… Ailleurs, émergent d’un corps/pichet, une figure humanoïde, une plante à visage méphistophélien, et un énorme ver hérissé de crêtes, au visage… humain en train de vitupérer contre un homme-tronc écrasé au « pied » de ce trio inattendu ; etc. 

          Ainsi, chaque œuvre naïve, ludique ou onirique, de Ramon Manglar n’a-t-elle rien d’exotique, rien d’indigéniste. Par l’imaginaire débridé dont il fait preuve, par ses mises en scène baroques, l’artiste ramène son visiteur vers le sérieux du jeu, ou au contraire vers les fantasmagories de sa propre imagination, son émerveillement, sa nostalgie peut-être de son enfance perdue… 

 

J.R. 

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JULIETA DEL CARMEN LEON MARTINEZ

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Très proches de celles des peintres haïtiens du Saint-Soleil, les œuvres de Julieta del Carmen Leon Martinez sont peuplées d’individus conçus en demi-teintes chaleureuses. 

Ses personnages sont parfois en couples amoureux. Mais le plus souvent ce sont des femmes serrées les unes contre les autres, comme lors d’une procession ou d’une manifestation ; se prélassant à leur balcon ; ou attendant quelqu’un pour qui elles ont revêtu leurs plus coquets atours…  Mais tous, hommes ou femmes, sont peints avec un soin méticuleux, sans que jamais ne surgisse le plus petit hiatus car cette artiste est une vraie coloriste. Et, bien qu’exprimés hors de tout contexte, ils sont à l’évidence les représentants de la vie au jour le jour, citadine peut-être, villageoise plutôt. Une existence sans doute jalonnée de joies, de tristesses, d’espoirs, de doutes …           Pourtant, nulle rancœur sur leurs visages. Seuls, les yeux étrécis à l’infini, tous au même niveau, regardant fixement droit devant eux le visiteur qui n’est pas de leur monde, attestent d’une nostalgie récurrente qui le ramène vers un quotidien populaire dont l’histoire n’est pas forcément pavée de roses. 

Des œuvres simples, sans fioritures, à la limite de la raideur, aux traits nets délinéés sans hésitation, porteuses de sensibilité et de plénitude. Un art singulier (au sens de personnel), populaire, qui parle sans en avoir l’air, de la culture cubaine et de la richesse du métissage afro-cubain, avec une technique picturale et une recherche des couleurs et des textures éminemment personnelles. 

 

J. R.

J. Fuster bâtisseur / J. Fuster peintre / N. Gala / F. Gordillo / R. Manglar / J. Martinez
J. Fuster bâtisseur / J. Fuster peintre / N. Gala / F. Gordillo / R. Manglar / J. Martinez

 

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PEDRO PABLO OLIVA

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Moins directement en prise avec la spiritualité et l’approche folkloriques ; œuvrant davantage que la plupart de ses compatriotes, à la conquête d’une vision protéiforme d’un "ailleurs" Pedro Pablo Oliva semble plutôt interroger les origines de l’Homme.  

Est-ce la raison pour laquelle ses fantasmes l’entraînent vers de lointains cosmos en gestation, au sol tourmenté de volcans en éruption ; à la faune entièrement curviligne ; à la flore vraisemblablement inexistante ; aux "humains"… Oui, ce sont bien des humains ! Qui constituent l’essentiel des obsessions de l’artiste cherchant à leur donner vie. 

Emergeant apparemment d’une sorte de magma dont leurs membres inférieurs ne sont jamais complètement libérés ; maculés encore parfois de cette glaise, ces individus sont toujours placés au centre du tableau, pour attester qu’ils en sont bien l’unique élément vital.  

Couverts de vêtements sans âge, visages dépourvus d’expression, venus de nulle part, rattachés à nulle connotation sociale, géographique ou historique, puisque sans indication de contexte, les personnages de Pedro Pablo Oliva semblent en quête d’identité. D’identités, peut-être? 

Et l’artiste, cherchant sans trêve à résoudre son problème ; pris entre gravité personnelle et contemporanéité expressionniste ; en totale adéquation néanmoins entre création et imaginaire, appartient à la race des artistes dont l’œuvre vise à l’universalité.

J. R.  

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CARLOS J. DEL TORO ORIHUELA

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          Les œuvres de Carlos J. del Toro Orihuela sont-elles des peintures en reliefs ou des sculptures plates ? Quoi qu’il en soit, ses surprenantes poupées rembourrées, que l’on dirait surjetées sur la toile, donnent l’impression d’être textiles, alors qu’il ne s’agit que du recouvrement des collages par la peinture. 

          Tableau après tableau, la femme est présente, et c’est elle qui est en relief. Silhouette infiniment déliée lorsqu’elle est en mouvement, avec pourtant des hanches larges, comme les sculptures préhistoriques évoquant le désir de maternité. Et maternité il y a, lorsqu’elle tient un enfant dans ses bras, le couche dans un berceau… ses membres/trompes semblant vouloir enserrer l’espace comme en une conque protectrice, ses seins se détachant en demi-lunes, chaque partie de son anatomie retravaillée, peinte et ornementée avec beaucoup de talent ; réunie en parfaite harmonie avec les arrière-plans où d’autres femmes semblablement ouvragées se découpent en filigrane. 

          Mais la plupart du temps, elle est là, hiératique telle une icône, visage triangulaire adorné, déesse peut-être, ou Vierge caraïbe ? Car elle est la résultante d’une longue histoire d’amour entre l’artiste et son sujet : Le spectateur imagine Carlos Orihuela, le nez collé sur la toile, déployant toute son imagination pour la piqueter d’infimes pointillés, la guillocher de mille petites lignes brisées ou onduleuses, la fleuronner, l’incruster de minuscules cailloutis… le tout dans des couleurs douces où prédominent les violines. 

          Une belle œuvre, de prime abord création esthétique, mais, au-delà, suggérant une double démarche entre reconnaissance ethnologique et culturelle, voire vénération cultuelle.

J.R.

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JULIO CESAR PENA PERALTA

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          Le monde de Julio Cesar Pena Peralta est-il un monde d’hommes ? Et la présence des femmes n’est-elle tolérée que pour le côté folklorique de leur costume, les jours de marché, lorsqu’elles papotent paisiblement côte à côte, devant leurs éventaires ? Ou bien ne seraient-elles pas plutôt exclues par son sens particulier de la fête ?

          Mais est-ce bien la fête, alors que tous les hommes portent des masques dans ce qui semble pourtant leurs occupations quotidiennes ? A moins que ce ne soit tous les jours Carnaval dans son univers, les paillettes et la liesse populaire en moins, puisque chaque individu est seul au centre du tableau ?

          Si tel n’est pas le cas, se pourrait-il alors, que ces masques soient là, par respect des rituels immémoriaux de cultes agraires liés au rythme des saisons et des lunaisons, vu que les personnages de Julio Peralta sont tantôt au grand soleil, tantôt dans la nuit la plus sombre ?

          Eventualité contraire, ces masques sont-ils récurrents par esprit de transgression puisque, comme chacun le sait, leur usage est une atteinte grave au Créateur qui a conçu l’Homme à son image ? Et la conscience de cette profanation, la crainte d’un châtiment céleste, expliquent-elles alors que dans l’œuvre de cet artiste, la mort soit omniprésente riant et forniquant avec son double? 

Mais cette mort symbolisée sur de nombreux visages n’est-elle pas là également, par hantise du passage du temps et de la fin inéluctable, et pour Julio Peralta le fait de la montrer est-il une façon de la conjurer ? 

          Le peintre a-t-il des réponses à tous ces questionnements ? Peut-être, après tout, n’est-ce rien de tout cela ? Et tout simplement, le goût du jeu, de la transgression, du pari risqué… et un grand sens de l’humour noir, l’amènent-ils à cette démarche paradoxale : chercher la renommée en peignant, mais se cacher pour ce faire, derrière un masque ? Qui sait ?

J.R.

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JORGE PERUGORRIA

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          Quel peut être le lien entre les œuvres de Jorge Perugorria, qui propose ici un boeuf, avec des cornes et des yeux effroyables, attelé à une carriole, le tout lourdement surligné de noir, (comme auraient pu le peindre naguère, Picasso ou Braque) ; suivant une flèche blanche dont aucune indication ne donne la destination, avec des personnages très bruts, sortes de petits individus qui seraient juste émergés du stade du bonhomme têtard, avec des personnages/oiseaux triangulaires, très ornés de minuscules carrés ou de délicates petites obliques, entourés comme d’une auréole de dentelles finement exécutées, ou de formes ovées au milieu desquelles se trouvent des yeux … avec des personnages complètement linéarisés dont les bouches seraient des croissants de lunes ; avec des musiciens très stylisés penchés sur leurs tambours bata, etc. 

          D’œuvre en œuvre, le visiteur avance, perplexe, sans avoir jamais la certitude de détenir la bonne clef ; concluant que peut-être l’artiste explore tous les thèmes liés à la vie populaire cubaine ? Ou bien qu’il s'agit de souvenirs rémanents, de rêves peut-être, d’impressions brèves fouettant comme des flashes son imaginaire. Qui sait ? 

J.R. 

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ISOLINA LIMONTA RODRIGUEZ

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          Isolina Limonta Rodríguez fait-elle en couleurs des rêves harmonieux, elle qui met en scène sur chacune de ses peintures un personnage emplissant l’espace, placé parfois devant une amorce de construction, le plus souvent à l’avant-plan d’une absence de contexte.

          Le tout dans de belles teintes suaves, à base de violets souvent, sur lesquels ressortent des roses et des orangés : jamais de couleurs franches, mais un mélange de douceur et de gravité ; une façon non pas de caresser la toile avec le pinceau, mais de la couvrir, personnages et fonds, d’un travail fin et obsessionnel, composé d’infimes rayures, vibrisses, décorations florales, etc. Une technique jouant des épaisseurs, les unes faisant vibrer les autres ; générant des plages lumineuses, d’autres sombres…

          L’artiste prolonge cette recherche picturale, et l’originalité de son propos, en peignant de fausses scènes de vie : femme nue regardant vers un château, dotée d’ailes florales pour quelque fête étrange peut-être… Ailleurs tournant le dos à ce même édifice, comme si la fête était finie… Jeune fille coiffée d’un turban sophistiqué orné d’une énorme broche, et vêtue d’une robe rehaussée d’une large collerette… Femmes entre elles, enlacées dans leur totale nudité, etc. 

          De sorte que, finalement, dans sa quête de beauté, Isolina Limonta Rodriguez semble rêver sa vie ; son talent, son doigté et son imaginaire faisant fi de toutes cultures, tous usages, temps et lieux, courant au gré de leur propre fantasmagorie. 

J.R.

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SAMUEL WEINSTEIN

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          Longtemps, la peinture cubaine a présenté un caractère mystique et religieux avant de devenir populaire. Son importance et son mystère furent exacerbés par le fait que les esclaves n’ayant pas le droit d’adorer leurs dieux ancestraux, dissimulaient souvent chaque divinité derrière un saint de la religion catholique. En va-t-il de même pour Samuel Weinstein et l’énigmatique personnage qui génère le plus de mystère dans son œuvre ? 

          Car ce corps idéal, plus exactement cette silhouette vêtue d’une cape la couvrant de la tête aux pieds, ressemble à s’y méprendre à une Vierge occidentale. Mais une Vierge dépourvue de visage, celui-ci réduit à une forme primaire cachée sous une étoffe grossièrement fabriquée, sombre et monochrome ?

          Pourtant, ce questionnement est, d’œuvre en œuvre, récurent. Comme si l’artiste tissait, dans le secret de son atelier le fil de son histoire, chacune révèle, en filigrane ou nettement délinéée, la présence d’un être humain. Lequel est conçu hors de tout contexte autre que les fils de chaîne et de trame. Au point qu’il semble flotter au centre du tableau. Et finalement, structuré jusqu’à être presque réaliste, ou au contraire simplement silhouetté, il véhicule une connotation un peu fantastique. 

          Une expression déroutante, où se ressent, bien sûr, le poids des millénaires, au cours desquels des millions de femmes ont ainsi tissé le lin ou la laine. Que cette occupation soit devenue celle d’un artiste masculin de grand talent ne peut que surprendre agréablement. Une œuvre, en tout cas, rare et précieuse, qui ramène l’artiste et le spectateur, vers d’archaïques usages caraïbes.

 

J.R.

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RAFAEL ZARZA

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          "Toros" : ce mot, à lui tout seul, possède une magie. Il implique la puissance, la violence, le courage… Et le taureau est un des rares animaux capables de tenir tête à l’homme, même si celui-ci sort presque toujours vainqueur de la confrontation. D’où sa récurrence dans l’art, chaque fois qu’un peintre veut symboliser la résistance et la lutte. 

          Les taureaux de Rafael Zarza sont lourds, bas sur pattes, zébrés à tel point que certains tableaux font penser à des radioscopies ; et dotés d’appendices sexuels monstrueux. Comme si cet artiste qui semble un fervent militant de la défense de l’Homme et de la Nature, avait besoin de cette symbolique paroxysmique pour exprimer la force de ses rancoeurs. Regrettant que l’homme flétrisse la fierté de l’animal, faisant de lui un bœuf en lui coupant sexe et cornes… Regrettant qu’il transforme en somme le fier combattant en modeste bête de labour. Flétrissure d’autant plus grotesque que, pour aller au bout de sa critique de la société, l’animal dompté est, par son pinceau, transformé en porteur de panneaux publicitaires ! 

          Ainsi peut-on "lire" les tableaux de Rafael Zarza comme une sorte de chemin de croix dont chaque station impliquerait pour lui une souffrance de plus en plus grande, un investissement pictural de plus en plus métaphorique. 

 

          Il offre au visiteur une réflexion très personnelle, une œuvre puissante, violente même, baroque et singulière, tellement narrative dans son extrême concentration qu’elle le relie à la démarche de nombre d’Expressionnistes.

J.R.

P. Oliva / C. Orihuela / J. Peralta / J. Perugorria / I. Rodriguez / S. Weinstein / R. Zarza
P. Oliva / C. Orihuela / J. Peralta / J. Perugorria / I. Rodriguez / S. Weinstein / R. Zarza

Photographies : Jean-Claude crégut

 

XXIE SIECLE : QUE DEVIENT L’ART SINGULIER ?

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Lorsque, à l’aube du XXe siècle, Hans Prinzhorn commença à s’intéresser aux oeuvres picturales ou sculpturales de gens inconnus, enfermés derrière les murs d’hôpitaux psychiatriques ; et lorsque, en 1922, après avoir étudié cinq mille de ces créations, il publia "Expressions de la folie", pouvait-il pressentir qu’il ouvrait la boîte de Pandore ? Que ce que révélait son ouvrage allait susciter tellement d’admiration chez des artistes très célèbres comme Max Ernst, Paul Klee, Kubin, etc. qu’ils appelleraient leurs "pairs" ces êtres demeurés derrière leurs murs clos ? Que des poètes salueraient de toute leur imagination, ces gens créant pour souffrir moins, sans avoir conscience de produire des œuvres d’art ?  Et, vu l’ostracisme dont avaient jusque-là été victimes, ces créateurs, n’aurait-il pas fallu être devin pour se douter qu’au fil des décennies, les esprits allaient changer à leur égard ?

Pourtant, il fallut attendre le milieu du siècle, que Jean Dubuffet fasse de l’Art asilaire un « Art brut », pour que ces œuvres soient soudain regardées, étudiées, encensées, muséifiées même.

 

Restant néanmoins dans la marginalité, car conçues à l’encontre de la situation picturale officielle de l’époque – de toutes les époques, en fait-. D’autant que l’ouvrage de Marcel Réja, “L’Art chez les fous”, publié en 1907, continuait d’influencer les jugements, qui parlait d’"un ailleurs", un monde où l’on peut trouver « presque toujours une formule d’art plus ou moins archaïque, attestant parfois d’un grand talent... mais dans lequel on ne peut guère relever que des lueurs plus ou moins isolées, auxquelles il manque toujours quelque chose pour prononcer le mot ‘génie’ ». D’autant que tous les ouvrages de Dubuffet allaient en ce sens, puisqu’il pensait que « l’art qui se dégage de l’inconscient ne doit pas être redéfini en fonction des attentes du monde de l’art moderne ». Et qu’il s’appuyait sur sa définition liminaire : "…Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique ; chez lesquelles donc, le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part ; de sorte que leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond... Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur ; à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art, donc, où se manifeste la seule fonction d’invention…" 

 

Mais l’aventure était en marche, et, le temps aidant, de plus en plus de gens s’intéressèrent à cet art protéiforme et tellement riche de psychologie. Certaines de ces personnes créèrent même des musées, entièrement consacrés à cette marginalité : L’Etrange musée de Robert Tatin (1967), Le Petit Musée du Bizarre de Candide (1969), L’Art cru Muséum de Guy Lafargue (1984), La Fabuloserie, Musée d’Art hors-les-normes d’Alain Bournonnais (1986) L’Aracine, Musée d’Art brut du trio Lommel/Teller/Nedjar (1986), Le Site de la Création franche de Gérard Sendrey (1989), Le Musée de l’Art en marche de Luis Marcel (1997). Bien sûr, tous étaient des émules de la Collection originelle de Dubuffet, devenue en 1985 Collection de l’Art Brut et la Neuve Invention, offerte à la ville de Lausanne. 

D’autres archivèrent la progression avec leurs fanzines : "Gazogène", "Les Friches de l’Art", "Regard", "L’Amateur", "les Graph’zines", et le plus complet et documenté d’entre eux, Le "Bulletin de l’Association les amis de François Ozenda". 

D’autres, enfin, créèrent des festivals : Danielle Jacqui Celle qui peint, à Roquevaire puis Aubagne, Louis Chabaud à Praz-sur-Arly, Marthe Pellegrino à Banne, Thierry Bariolle à Miermaigne… 

 

Tous ces vocables tellement différents naquirent du fait de l’interdiction de Dubuffet d’employer le terme "Art brut" pour des œuvres autres que celles de sa Collection. Ce qui obligea tous ces « découvreurs » marginaux à trouver de nouvelles définitions : L’Art immédiat, cru, intuitif, spontané, médiumnique, insitic, différencié… La Création franche, les Friches de l’Art… Et surtout l’Art hors-les-normes et les Singuliers de l’Art dont l’exposition en 1978, remporta un immense succès. "Singuliers de l’Art", expression devenue bientôt "Art singulier"… 

 

"L’Art singulier" qui aurait dû remplacer l’Art brut ! Pourtant, celui-ci, loin de rester sur les cimaises de son musée, lutta pied à pied pour vivre sa vie. A tel point que, par un phénomène inexpliqué, de nombreux artistes, autodidactes ou non, commencèrent à s’en revendiquer, que les "faiseurs" d’art brut multiplièrent. Dans le même temps, d’autres –ou les mêmes- honnêtement soucieux de se libérer des carcans des écoles des Beaux-Arts, ou sentant simplement souffler le vent de l’Art singulier, en devinrent des adeptes à part entière. Et les décennies s’écoulèrent... 

 

Alors, en ce début de XXIe siècle, où en est l’Art brut ? Où en est l’Art singulier ? Où en est la mouvance marginale ? 

Les musées vont bien : le Site de la création franche et l’Etrange Musée Robert Tatin sont devenus musées. La Fabuloserie draine vers elle des foules toujours plus denses. Le Petit Musée du Bizarre continue sa marche ; et l’Aracine est sur le point de posséder à Villeneuve d’Ascq un beau cocon tout neuf. Après de graves attaques mercantiles, le Musée de l’Art cru semble avoir retrouvé ses couleurs. Quant au Musée de l’Art en marche, il lutte ! Et des CREAHM (Association Créativité et handicap mental), partis de Belgique, sont en train de migrer à travers l’Europe. 

Côté fanzines, par contre, tout ne va pas pour le mieux. « Gazogène » et « les Friches de l’art » semblent disparus. "Le Bulletin… Ozenda" s’est arrêté après vingt-huit ans de persévérance des Caire. Seuls, "L’Amateur", "Les Graph’zine" et "Regard", batifolent comme de petits fous dans l’aura singulière… 

Et les festivals ? Certains ont disparu comme celui, Hors-les-normes, de Praz-sur-Arly. D’autres, par leur pugnacité, ont conquis leurs lettres de noblesse et une réputation internationale, comme celui d’Aubagne, le plus anciens de tous ; et celui de Banne qui s’est annuellement dédoublé du fait de l’abondance des demandes. Quelques-uns tentent de s’affirmer, comme celui de Miermaigne. Ou ont fait une tentative avortée. Mais d’autres encore, et c’est heureux, démarrent avec le plus grand optimisme, comme le Grand Baz’Art à Bézu. 

 

Faut-il donc, aujourd’hui, se réjouir de cette surabondance ? Ou faut-il s’en inquiéter ? Craindre que la marginalité ne devienne la nouvelle officialité ? La singularité est-elle sauve d’avoir tenté tant de monde ? Ou bien est-elle menacée ?

Elle est sauve tant que tient bon la génération des fous qui l’ont supportée depuis un demi-siècle ! Mais déjà ne sont plus là, Candide et Madeleine Lommel, elle qui a tant lutté contre les amalgames, contre l’Art brut menacé de servir de faire-valoir à l’Art officiel. Alors… 

Menacée, la singularité ?  Par les créateurs eux-mêmes qui ne se contentent plus du plaisir de créer et reproduisent trop souvent l’attitude des artistes et des voies officiels, soucieux de célébrité et de réussite financière. Par la volonté de récupération de gens, des galeristes en particulier, qui ne perdent pas le nord et qui, se rendant compte que leurs circuits habituels ne font plus recette, exposent désormais sans vergogne ces créateurs souvent naïfs et donc faciles à exploiter. Et, dans le même esprit, menacée par des artistes en mal d’inspiration qui, n’ayant rien contre des mimétismes susceptibles de leur ouvrir des portes, (ces fameux mimétismes dont l’absence dans l’Art brut avait suscité l’intérêt de Jean Dubuffet) s’implantent à tout va dans les sphères qui, jusqu’alors, étaient l’apanage des autodidactes.

 

Restons malgré tout optimistes, et espérons que longtemps encore tous ces courants hors-les-normes tellement diversifiés, fidèles à l’esprit originel, enrichiront, hors des sentiers battus, la création picturale mondiale !

Jeanine RIVAIS

 

SI TOUS LES GARS DU MONDE… 

AU

XIIIe FESTIVAL D’ART SINGULIER, ART D’AUJOURD’HUI DE BANNE

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Il y eut la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen affirmant au monde que tous les hommes naissent égaux en droits ! Il y eut Martin Luther King et son rêve de créer un monde différent, plus humain, plus fraternel, où le bonheur tiendrait au partage du travail et du plaisir ! Plus directement proche du quotidien, moins théorique et plus psychologique, il y eut le film de Christian Jaque d’où est partie la chanson inspirée d’un poème de Paul Fort, qui développa l’idée –la preuve- qu’il suffit parfois d’une chaîne de solidarité, pour sauver des êtres ! Et bien sûr, chacun a un jour rêvé de participer à une ronde autour du monde, pour qu’enfin tous les êtres humains puissent s’aimer en paix. 

Et, parce que la paix est une joie de vivre à l’unisson pour envisager l’avenir, chacun a besoin de la beauté, de l’art et de la créativité ; l’art qui est l’expression humaine de la liberté. Seuls l’art et l’éducation esthétique permettent à tous de s’accomplir pleinement. De plus, le beau a sur eux une autorité morale, parce qu’il comble leur besoin d’harmonie. Pourtant, l’homme moderne laisse bien peu de place à l’art, le canalisant, en restreignant le sens, au lieu de donner à chacun l’occasion d’exprimer son identité, faite de tolérance, de curiosité et de désir.

 

Alors, si tous les artistes du monde… voulaient bien se côtoyer dans cette soif de "rencontrer" une œuvre belle, signifiante. Accepter le regard des autres et, en échange, regarder leurs oeuvres. En admettre la diversité culturelle, les spécificités nées de leur pays, leur langue, leur nationalité. Partager leurs proximités et leurs différences. Et tous ensemble, répondre à l'urgence d'extérioriser leur moi profond, embellir leur vie d'œuvres ancrées dans leurs racines…

 

Alors, si tous les visiteurs du monde… voulaient bien comprendre que savoir regarder une œuvre d’art n’est pas inné ; qu’elle apporte à l’individu ayant appris à la regarder, un pur moyen d’évasion ; qu’elle l’élève au-dessus du quotidien et l’amène à une paix de l’esprit libératrice. Que le "dit" de l’artiste résonne subjectivement en chacun, le transporte de bonheur ou lui mord les tripes. Lorsque le monde ne lui offre que des cauchemars, l’art lui permet d’aller à l’extérieur de lui-même, chercher le rêve … 

 

Alors, si tous les festivals du monde… savaient créer des évènements qui n’existaient pas avant. Offrir une opportunité à des artistes de se retrouver à côté d’autres artistes. Créer de nouveaux moyens d’échanges et de communication entre eux, et avec le public. Afin que, sans hiatus, les uns et les autres soient prêts à assumer la mosaïque des peintures et des sculptures artistiquement enchaînées en un même lieu comme les rimes assonantes ou volontairement dissonantes d'un poème…

 

Alors, si tous, artistes et publics… se souvenaient que la création est un moyen de résistance. Que "Guernica" s’est battu autant que les fusils. Que l’art peut être un moyen subversif d’expression  pour lutter contre des autoritarismes qui trop souvent codifient, écrasent la création, voire les créateurs : les Expressionnistes l’ont bien compris, travaillant malgré les interdits lorsque, à l’exposition de l’"Art dégénéré",  leurs œuvres ont été moquées, méprisées ; livrées au feu en des autodafés dignes de la plus sombre Inquisition… : A chaque époque où la société s’appauvrit, l’artiste a besoin de s’exprimer, autant que le public a besoin de lui. 

 

          Dira-t-on jamais assez, assez fort, que l’art est un droit de la société dans son ensemble, et non pas le privilège de quelques-uns ? Rappellera-t-on assez combien une image chaude, aux accents nostalgiques ou au contraire aux envolées joyeuses, réveille des pans de vie oubliés, de rencontres ou d’amitiés, suscite des réminiscences d’odeurs et de couleurs ? Redira-t-on assez que l’art est un des moyens qui permet à l’homme de communiquer ses émotions, traduire son besoin d’émancipation ? Que ce sont les artistes, qui assurent le caractère universel de toute communauté ? Que pour cette raison, des liens doivent se tisser en tout temps, en tous lieux ; car les arts donnent à un pays sa plus haute expression ; et, par le truchement d’œuvres fortes et originales, l’inscrivent dans l’Histoire et la mémoire collective. 

 

          Le festival de Banne a bien compris tous les aspects d’une démarche artistique, d’une expression « autre », qui deux fois l’an, rassemble et mobilise tous ceux qui sont prêts à lutter pour que l’art soit source de bonheur et non pas simple marchandise. Pour que chacun trouve sa place et aille son chemin avec ses particularités, ses difficultés, la possibilité d'étaler au grand jour sa richesse créative, dynamique, imaginative. 

 

          Alors, si tous les gars du monde… 

Jeanine RIVAIS

BANNE 2009 

NOUVEAU SITE : http://jeaninerivais.jimdo.com/

REALISATION DE 26 ENTRETIENS

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BANNE 2010

 AU RENDEZ-VOUS DES INCLASSABLES

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          Classer les inclassables, n'est-ce pas ce qu'ont essayé de faire ceux qui, un jour, sont allés chercher les œuvres de pauvres êtres créant jusque-là "en toute ignorance derrière les murs de leurs asiles"* ? Pour s'apercevoir qu'ils venaient d'ouvrir la boîte de Pandore ! En effet, plus le temps passait, plus éclataient nombreuses, les variantes de ces créations "populaires", "naïves", "brutes", etc. ; plus surgissaient les passions, les humeurs, les désarrois et les bonheurs… de créateurs autodidactes venus de tous les horizons. Dès lors, aussi imaginatifs qu'aient pu être les passionnés de cet art (ces arts), s'obstiner à les classer, devenait parfaitement utopique ! D'autant que, bien vite, se sont greffés sur ces productions, des gens bardés de diplômes des Beaux-Arts, lassés des phénomènes de mode, désireux d'en désapprendre les consignes et les orthodoxies ! De nouveau, la houle a enflé ; les labels se sont multipliés ; les œuvres ont été muséifiées, exposées ; des festivals s'en sont emparés…

          Et un jour, Banne a émergé de ses collines, où Marthe Pellegrino, ayant compris que la force créatrice et la richesse d'un groupe tenait à son métissage, est devenue partie prenante de cette gageure. Laquelle consistait à regrouper des paradoxes, exalter des antithèses, pointer des ressemblances, encourager des différences : générer une dimension collective. "Bann'Art, Festival d'Art singulier" était né. Qui explora un monde fascinant et encore méconnu dans la région, d'une créativité hors de toutes les normes et les schémas fixés par la société contemporaine.

          Mais à se refuser à tout classement, à se faufiler entre les définitions avec les parcours atypiques de ses protagonistes, Banne a attiré une nouvelle frange de créateurs.

          Des gens dont, également, la force de l'oeuvre réside dans son inventivité tout à fait personnelle dans les sujets représentés, son affranchissement à l'égard des normes culturelles, sa désinvolture, voire son irrespect ! Des peintres et des sculpteurs qui, bien que ne se situant pas dans les arcanes de l'officialité ne se veulent pas non plus tout à fait marginaux. Nouveau melting-pot. Banne est alors devenu "Festival d'Art singulier-Art d'aujourd'hui".

          Et c'est, désormais, plus que jamais, un joyeux méli-mélo de représentations de mondes intérieurs, psychiques ou quotidiens ; d'univers traversés de couleurs chatoyantes et chaudes, ponctués d'humour ou de mal-être. Jouant parfois avec les mots comme pour illustrer la peinture tout en la prolongeant…

          Envahissant deux fois par an les ruelles du village. Attirant, sous la bannière de sa Présidente et du Maire Jean-Claude Crégut, une foule de plus en plus nombreuse et intéressée. Faisant de Banne, ainsi devenu un formidable levier à faire émerger des ressources picturales inattendues, un lieu à la fois de différence, de persistance, d'innovation et de mémoire.

Jeanine RIVAIS

**Max Ernst, Paul Klee, Kubin, découvrant l'Art asilaire, à travers le livre de Prinzhorn " Expression de la folie ".

 

HEUREUX QUI, COMME ULYSSE…

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Depuis le XVIe siècle, le poème de Du Bellay sert de référent à quiconque part pour un voyage dont l’impact peut changer sa vie, qu’il soit physique, culturel, cultuel, voire intérieur. Pourtant, seuls, les deux premiers vers,

         "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

          Ou comme celui-là qui conquit la toison…"

impliquent admiration, nuancée d’une petite pointe de jalousie. Le reste n’est que regret, lamento de l’exil. Rien à voir avec le plaisir de voyager, partir à l’aventure, se fondre dans l’inconnu.

          Mais, d’abord, qu’est-ce que voyager ? Chacun sait bien que, pour voyager l’esprit ouvert, il faut ""être jeune" et disponible, et qu’être jeune est une inclination d’esprit bien plus qu’une question d’âge. Jeune, Du Bellay l’était. Mais assurément pas dans la bonne inclination d’esprit, puisqu’il eut besoin, pour affirmer l’importance de son propre périple, d’évoquer deux grands voyageurs de la mythologie grecque, Ulysse et Jason. Regrettant même, de ne pouvoir bénéficier de l’aide des dieux qui avaient accompagné le périple de ses deux exemples ; l’un, héros de l’Odyssée d’Homère, l’autre menant l’expédition des Argonautes à la conquête de la Toison d’or.

 

                Quel que soit le parcours du voyageur du XXIe siècle, il est différent de ceux du siècle de Du Bellay, beaucoup plus large, dans l’espace et le temps. Mais, indépendamment de l’époque, qu’attend de son voyage, celui qui s’en va vers "ailleurs" ? Que pense-t-il découvrir ? Que découvre-t-il ? Comment est-il prêt à accueillir ce qu’il découvre ?... Quelle ouverture ou quels empêchements, sa propre culture lui confère-t-elle ? On a depuis toujours glosé sur les gens emportant dans leurs bagages ce qu’ils ont de plus familier (nourriture, etc.), empêchés qu’ils sont, d’accepter ce qu’ils ne connaissent pas. De là, un fort sentiment d’échec s’ils ne retrouvent pas la même chose "ailleurs".

          Et pourtant, "raconter son voyage", c’est mettre en avant, parfois, les savoirs que l’on a emportés avec soi afin d’établir des comparaisons. Mais surtout, c’est énoncer ceux que l’on a acquis, ou que l’imaginaire a brodés à partir de la réalité. C’est tenter de faire partager à autrui toutes les émotions, les plaisirs, les chagrins ou les peurs que l’on a éprouvés ; retrouver les temps que l’on croyait forts et qu’on a oubliés, décrire ceux que l’on avait pris pour des petits riens, qui jaillissent de la mémoire, et seront dans le futur de précieuses réminiscences. D’où il faut conclure qu’il y a autant de réponses que d’individus.

 

          Et, peut-on mettre sur un même plan, les grandes expéditions (Christophe Colomb, Amundsen, Lord Shackleton…) qui sont des voyages où chacun sait, en partant, qu’il met en jeu  sa vie ; et le voyage du particulier qui, où qu’il aille, reproduit des schémas tutélaires ? L’image de la tempête, l’excitation de la découverte, peuvent-elles procurer semblable agitation intime, semblable sens du danger, semblable appréhension des leurres et des illusions ? Subséquemment, comment comparer la forme et la place des récits de voyages impliquant des découvertes, foulant des espaces vierges, l’impact qu’ils peuvent produire sur leurs lecteurs ; avec une narration aussi imagée soit-elle d’un voyage ordinaire ?

          Existe-t-il, en somme, un art de voyager ? Un art de conter son voyage ? Et, plus intense, un art de transmettre le point crucial où un périple atteint la puissance d’une odyssée intérieure ?

 

          Odyssée intérieure : Sans se comparer à Bouddha, aux Sages qui ont enseigné à travers le monde, ou à des êtres d’exception comme Martin Luther King et son "I have a dream…", quel être ne s’en est un jour allé au-delà du rêve où personnages, décors et intrigues sont créés par son subconscient ? Qui ne s’est un jour coupé du monde pour se plonger dans une "histoire" ? Au cours de laquelle il contrôle à son gré sa propre personne, construit sa propre intrigue, son propre décor en faisant appel à son imagination ou ses souvenirs, et surtout à son conscient ? Où il est seul maître de l’aventure qu’il "vit" ? Où il décide de l’évolution de l’action et de son déroulement à la loyale ou par trahison ; par grandeur ou décadence, etc. En somme, une histoire où l’individu peut, selon son caractère, se rabaisser, se satisfaire ou se surpasser, dans un scénario qui, pendant qu’il "vit en autarcie", lui est une réalité. Ainsi, pour revenir à Du Bellay que préoccupe essentiellement le voyage intérieur poétique, celui-ci est surtout une quête de l’infini. Une fuite et un refus du monde réel. Le poète, en effet, est une sorte de voyageur qui cherche la profondeur intime des mots, les associations concordantes ou dissonantes des termes… Il est créateur d’un univers de lieux mentaux. Sa quête est de liberté, de révolte, de subversion contre des formulations banales.

 

                Mais s’il en va ainsi des poètes, chez les artistes, plasticiens de tous horizons, qu’en est-il ? Eux qui, par excellence, captent à travers leurs œuvres, l’appel puissant des profondeurs de leur être ? Qui, bien souvent, revenus de leurs illusions sur le monde réel, partent sans relâche à la recherche d’eux-mêmes ? Qui, -il s’agit bien sûr, des "authentiques créateurs", pas des faiseurs- au lieu de refouler leurs fantasmes, les fixent sur la toile, les gravent dans la terre, le bois, la pierre…? Qui vont parfois si loin dans ce voyage, que ne plus créer leur est impensable, voire mortel ; et que créer les entraîne dans un véritable traumatisme sans échappatoire… ?

 

             Car la création artistique ne peut se réduire à une simple imitation du réel ou la transcription d’une émotion. Elle se doit d’aller au-delà de la reproduction de formes éculées, parce que trop souvent ressassées. D’imaginer, pour traduire les fantasmes les plus intimes, des formes inédites et personnelles. En même temps, peintre ou sculpteur se doivent de continuer au-delà du simple "dit" personnel, pour élargir leur œuvre, l’universaliser. S’exiler, en quelque sorte comme le fit Du Bellay, même à leur corps défendant. Revenir d’assez loin pour transmettre tout le poids de ce périple. Et c’est lorsque le "paysage mental" ainsi exploré est extériorisé, qu’il prend son caractère magique, et devient celui du visiteur.

 

          Dans ces conditions, les artistes "voyagent-ils" par leurs créations. Déjà, et indépendamment d’eux, l’art a toujours voyagé. Au-delà des flux migratoires emportant à l’aube de l’humanité les premières manifestations d’imaginaires puissants ; au-delà des mariages princiers échangeant les plus belles marques de leur civilisations respectives… les vainqueurs ont toujours rapporté chez eux les trésors artistiques des vaincus (pensons aux dieux d’or des Incas dérobés par les Espagnols ; à Napoléon et aux Anglais pillant les mânes des pharaons ; sans oublier les nazis volant par trains entiers les œuvres les plus célèbres d’Europe…) Heureusement, l’art voyage également au gré des expositions, dans des itinéraires qui dépassent parfois l’imagination ; telles les fresques de Stabine exhumées naguère des cendres du Vésuve, et revenues à Ravenne, en notre fin de décennie, via Hong-Kong, Saint-Pétersbourg, Washington et l’Autriche…Et l’on pourrait à l’infini multiplier les exemples…

          Si les œuvres voyagent, comment les artistes voyagent-ils ? N’est-ce pas, justement, au cours des expositions, une fois leurs œuvres achevées, par leur désir de prendre à témoin le visiteur de la richesse de leur imaginaire ? Du grand don de soi que représentent leurs créations ?

          Et puis, se retrouvant côte à côte en un même lieu, leur rencontre ne s’articule-t-elle pas autour d’un désir commun de parler de leur sentiment d’évasion dans la création ; de la perte de soi et du témoignage de cette perte ; de la façon de se retrouver au bout du rêve éveillé, concrétisé et confié au regard des autres créateurs ?

         Et n’est-ce pas, pour eux, chaque fois, une obligation de se remettre en cause, que ces "regards" croisés tellement différents ; ces patchworks d'expressions constructives, proposés au gré de ces rencontres si particulières ; ces talents qui s’illustrent à travers les questionnements profonds de leurs vies fantasmées ; ces interrogations sur la sincérité, l’authenticité de leur œuvre, à partir de leur moi profond étalé aux yeux de tous ; ces face-à-face fantasmagoriques, comme autant de façons de lutter contre la peur et la mort ?

 

                Depuis près d’une décennie, les artistes qui se succèdent au Festival de Banne, à l’invitation de sa fondatrice Marthe Pellegrino, ne sont-ils pas, pour la plupart, les illustrations complexes et vivantes de tous ces questionnements ? Gageons que, comme les manifestations précédentes, 2010 apportera dans ce village son lot annuel de bouffées délirantes, de plénitudes apaisantes, de cassures tourmentées, de voyages intérieurs multiformes ! "Heureux [ceux] qui, comme Ulysse" vogueront vers tous ces créateurs, familiers ou inconnus ; " Heureux " ceux qui, comme Jason, venus parfois de fort loin, emporteront, chez eux, au bout de leur voyage, quelque magnifique… toison d’or !

 

Jeanine RIVAIS

 

METAMORPHOSES BANNE 

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          "Métamorphose" : ce mot implique une transformation, une mutation. Il désigne un changement de nature ou de forme si profond que l’objet transformé n’est plus identifiable. Ainsi, à l’aube de l’humanité, les bactéries ont-elles muté en de nouveaux éléments composites. Depuis lors, les plus spectaculaires métamorphoses ont lieu chez les insectes (la chenille sortant de sa chrysalide pour devenir papillon) ; chez les animaux (du têtard à la grenouille). Et puisque le singe est devenu homme, pourquoi pas chez les êtres pensants (Loup-garou, transsexualité…) ? Ne pourrait-on, à l’infini, multiplier les exemples ? Car la métamorphose obsède les humains depuis qu’ils ont les moyens d’y réfléchir. D’où sa présence dans tout ce qui est objet d’attention, d’intérêt et de questionnement pour l’homme, depuis les temps païens où, pour combler ses incertitudes, il imagina les dieux. Le mot "métamorphose" exerça alors sa magie sur l’Olympe où ils usèrent de ce stratagème, pour séduire un être aimé, se venger d’un ennemi, descendre sur terre et se jouer de la naïveté de ses occupants. 

 

          Au sens ancien, le mot "art" désignait tout savoir-faire humain, toute pratique produisant un résultat non naturel. Il est devenu synonyme de création d’œuvres destinées à susciter par leur aspect une appréciation esthétique positive. Dès lors, comment les artistes ne se seraient-ils pas emparés de l’idée de métamorphose ? 

          Les écrivains, bien sûr, tel Ovide, le plus célèbre, prenant son inspiration dans la mythologie et la tradition grecques et dans les fables romaines. Chez qui les dieux étaient une figure majeure pour qui, souvent liée à l’amour, la métamorphose était une récompense ou une punition. Autre figure récurrente, liée à la précédente, les artistes. Car les dieux, sensibles à la beauté, les aimaient et les comblaient de leurs faveurs… Bien plus tard, passant par La Fontaine (fables), Maupassant (Le Horla), Ionesco (Rhinocéros), les Surréalistes…après Oscar Wilde et le Portrait de Dorian Gray ; Stevenson et le cas du Docteur Jekyll… il y eut Kafka, métamorphosant son personnage principal en un énorme insecte. Et, tout au long des siècles, surtout au XVIe bouleversé par l’élargissement brutal des connaissances, la littérature fantastique fondée sur la fiction, fit intervenir le surnaturel dans un cadre réaliste, cette alliance générant le plus souvent souffrance, folie, ou sentiment d’échec… Tous ces exemples ont perpétuellement soulevé de nombreuses perplexités : Qu’est-ce qu’être homme ? Qu’est-ce qu’être animal ? La vérité n’est-elle qu’apparence ? Etc.

          De même, les plasticiens explorèrent-ils ces thèmes : De "Léda et le cygne", sculpture de Nicolas Fouquet, à Pistoletto et ses variations dans le temps… non seulement l’art reflète cette obsession, mais il la représente, comme le dit Guy Belzane : "Il y a des métamorphoses dans l’art, mais l’art n’est fait que de métamorphoses, l’art est LA métamorphose", car l’artiste crée à son gré, il transfigure la réalité sur la toile, dans la terre ou tout autre matériau de son choix. Amené pourtant, parfois, à tenir compte du contexte : Ainsi, à la Renaissance, la découverte de la perspective suscita-t-elle de profondes métamorphoses dans la forme (subséquemment, dans l’expression). Aux siècles suivants, celles-ci ne tinrent qu’à l’esprit des écoles successives (classicisme, romantisme, etc.), jusqu’au début du XXe siècle et Picasso chez qui l’image fut saisie et décomposée jusqu’à l’épure, partant du réel pour être distordue, changeant ainsi à la fois de forme et de sens, pour atteindre une autre réalité. A partir de là, les artistes corroborèrent plus que jamais la phrase de Malraux dans " La Métamorphose des dieux " (1957) : "L’œuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient œuvre d’art par ce qui lui échappe". Ils se séparèrent dès lors de la réalité pour imaginer des formes inattendues, se délivrant de l’ancien pour créer de nouveaux équilibres ; déplaçant totalement le pôle esthétique auquel était jusque-là confronté le spectateur.  

 

          Dans ce contexte, et bien que marginale et d’origine autodidacte, l’avancée de l’Art asilaire, puis de l’Art brut et de l’Art singulier a grandement contribué à l’acceptation de la métamorphose récurrente des corps et l’introduction d’une psychologie qui, en plus de la beauté, générait pour le vis-à-vis un sentiment reflétant directement l’esprit du créateur. D’ailleurs, nombre d’artistes célèbres en ont revendiqué l’influence. D’où une nouvelle génération fascinée par l’indéterminé, l’éphémère, le transitoire, un élan dont le jaillissement donnait souvent aux œuvres l’impression d’être inachevées, placées sous le signe de la mobilité, s’intéressant aux fragments devenus bribes d’un  "récit" qu’il appartenait au spectateur de compléter, selon sa subjectivité.

 

          Et dans cet esprit, faut-il voir dans la déshumanisation urbaine ; dans les impératifs d’une mode changeante comme jamais (vestimentaire, médiatique…); dans les incertitudes sociales et politiques de notre époque, l’attachement de nombreux artistes à des objets fonctionnels du passé, récupérés et réinitialisés en allochtones androïdes ou en animaux, passant du minéral le plus anonyme à une apparence organique souvent humanisée ; fluctuant des sources populaires à un imaginaire de transformation ? Toutes ces métamorphoses leur rappellent qu’ils sont eux-mêmes soumis à mutations, au temps et à la mort ; confèrent à leurs œuvres une dimension psychologique qui pose elle aussi la question de rupture et/ou de continuité ; génèrent des images mentales puissantes car pour eux c’est souvent créer ou mourir ; expriment donc des questions existentielles les amenant à se demander qui ils sont. Car elles touchent leur être en profondeur, contestant consciemment ou non le principe de leur propre existence. Subséquemment, collection, accumulation, installation, récupération en vue de mutation, déclinaison de matières, ces mots qualifient la démarche de la plupart des artistes de l’Art singulier. Auxquels peuvent s’adjoindre, selon les individualités, humour, désarroi, inorganisation ou au contraire stricte précision ; raideur ou mobilité ; puissance ou dérisoire ; aléatoire… Fonctionnant chaque fois en une diversité forcément ; mais aussi en une combinaison serrée mouvement/langage.

 

          Dans ces espaces incertains où il n’est question que d’exister, d’être différent ; d’être de son époque ou au contraire atemporel, les artistes qui, en 2010, installeront leurs œuvres au Festival de Banne, à l’invitation de Marthe Pellegrino, auront sans doute des réponses à tous ces questionnements, eux qui, visionnaires et sensibles, explorent et métamorphosent les arcanes de la création par leurs images partielles, rêvées, transformées ; et apportent à chaque festival émotion, enthousiasme, extériorisation de leur moi profond, originalité : Comment chaque visiteur n’y trouverait-il pas une part de lui-même ?

Jeanine RIVAIS

 

AU RENDEZ-VOUS DE LA MEMOIRE

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          Dix ans déjà ! Dix ans et le double de festivals ! Au cours de cette décennie, "Bann'Art, Art singulier, Art d'aujourd'hui" a enchaîné ses expositions devenues bisannuelles. 

          Festivals protéiformes, au cours desquels les gens qui se réclament de la mouvance singulière créent la plupart du temps par besoin d'être en prise directe avec leur vécu, avec le sensitif. Des artistes animés du désir d'embellir leur vie d’œuvres d'une fraîcheur, d'une rutilance toutes particulières. Mais en même temps, d'oeuvres ancrées dans la mémoire de leurs racines. Subséquemment, osant sans états d’âme les "dits" les plus inattendus, ils y déclinent à l’infini humour, souffrance, plaisir, quotidien et fantasmes, liberté et insolence ; y affirment leurs associations inimitables de couleurs, formes et matières ; y bousculent et enchevêtrent leurs images de graphismes, de pictogrammes qui dansent autour de personnages plus fantaisistes que réalistes. Quant à ceux qui se revendiquent de l’Art contemporain, ils y proposent une gamme de compositions plus éclectiques, plus raisonnées parfois, plus cérébrales souvent. Allant de créations proches des œuvres singulières, pour lesquelles la différence tient à la seule volonté des artistes de se situer dans la contemporanéité ; à des recherches totalement "techniques", plastiques et picturales, moins subjectives parce que loin de toute psychologie. 

          Au demeurant accueillants, ces festivals, conviviaux puisque, ayant banni les appellations, devenues de moins en moins contradictoires, les artistes occupent et se partagent sans exclusive, dans une atmosphère bon enfant, des espaces dont les noms se sont, au fil du temps, chargés de quotidien et de rêve : les Ecuries, la Maison de la Cheminée et la Grotte du Roure, plus récemment la Salle d'Art contemporain. 

          Subséquemment, le Festival de Banne est devenu en ces dix années, sous la houlette de sa fondatrice Marthe Pellegrino, un lieu de création sinon toujours marginale, du moins dissidente, qui par ses "différences" comble de plaisir la curiosité et le cœur des visiteurs. Manifestation au terme de laquelle public et artistes invités prononcent à regret le mot "fin". Une fin qui n’en est pas une, bien sûr. Une fin qui porte en gestation, la richesse des prochains festivals… Rendez-vous l'année prochaine. 

Jeanine RIVAIS

BANNE 2010

NOUVEAU SITE : http://jeaninerivais.jimdo.com/

REALISATION DE 26 ENTRETIENS ET 1 TEXTE 

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BANNE 2011

TETES A TETES INTRA-MUROS, UN VERITABLE CASSE-TETES !

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          L'expression "Tête à tête" est généralement employée au singulier, et développe l'idée de conciliabule ; d'intimité entre deux personnes, de complicité, de légèreté des échanges…

 

          Pourquoi, alors, lorsque quelqu'un décide de lui mettre la marque du pluriel, cette expression semble-t-elle intuitivement introduire une notion de confrontation ? De moments où plusieurs personnes pourraient discuter de questions difficiles, d'énonciations fondamentales, de défiances dialoguées, de rappels impératifs de thèmes à explorer ? D'un temps pour les différents interlocuteurs de formuler leur propre pensée, la proposer par rapport à d'autres, et analyser des sujets ou des créations extérieurs à eux-mêmes. De moments aussi où penseurs, écrivains, artistes… peuvent être amenés à interroger leurs opinions, leurs œuvres, à s'interroger par rapport à elles.

          La suite peut alors relever du jeu, un jeu sérieux, vital parfois, porteur de sens pour son auteur. Et l'expression devient "Tête à têtes" s'il considère "ses" œuvres de quelque nature soient-elles (écrits, peintures, sculptures…) ; ou "tête à tête" s'il estime que l'ensemble constitue une œuvre unique.

 

          Pour le penseur, le philosophe, le cheminement s'articule sur une réflexion philosophique, métaphysique, politique… en lien avec le passé ou un éventuel futur, avec l'actualité, les problèmes sociaux, les doctrines spirituelles et les différentes opinions. Il s'interroge sur les causes et la manière dont son oeuvre est née et s'est imposée à lui ? Il questionne l'Histoire, les conditions de tous ordres dans lesquelles sa pensée a pris corps. Tout cela par rapport à sa propre histoire.

 

          Pour l'écrivain, il s’appuie sur la pensée de Foucault et sur son célèbre texte "Qu’est-ce qu’un auteur ?". Il interroge la "fonction de l’auteur" et ce qui l’accompagne, à savoir l’œuvre : "Le nom d’auteur n’est pas situé dans l’état civil des hommes, il n’est pas non plus situé dans la fiction de l’œuvre, il est situé dans la rupture qui instaure un certain groupe de discours et son mode d’être singulier…. La fonction auteur est donc caractéristique du mode d’existence, de circulation et de fonctionnement de certains discours à l’intérieur d’une société". Une fois posée cette définition, il lui faut, aujourd'hui, passer par l'affirmation dogmatique de Pierre Michon, écrivain et théoricien : "A mon sens, le roman long, romanesque, sans excipient, puissant sans bavardage, a été mené à son terme au vingtième siècle dans des expériences comme celles de Joyce ou Faulkner, qui ne sont plus faisables. Ils ont mené le genre à sa dernière perfection. Nous vivons un temps d’épigones de ces gens-là, bien sages, bien pensants, bien obéissants, bien révolutionnaires, qui sont tellement en dessous de leurs modèles".

          Il se doit donc, désormais, d'avoir l’ambition de proposer un autre regard sur la littérature, une manière révolutionnaire de présenter son œuvre littéraire. Il cherche en effet à établir des relations entre des domaines que tout sépare : l'attention, la connaissance intime de soi et l'imaginaire ; la littérature et la quotidienneté ; l’absence de concessions et la simplicité ; la créativité et le public ; l'originalité …

 

          L'originalité, le pouvoir de dépasser les sentiers battus, s'engager dans une voie pas toujours facile : pour ce faire, il va questionner –comme l'ont fait, en particulier, les auteurs du Nouveau Roman- la place de l'intrigue, casser la continuité littéraire, mettre en cause l'étoffe des personnages, etc. Dominer subséquemment une sensation de malaise et d'insécurité face à une route inexplorée. Mais aussi, finalement, ressentir le plaisir d'être allé "au-delà" !

          Quant à l'artiste, peintre ou sculpteur, comment vit-il son tête à tête avec "son" oeuvre, son tête à têtes avec "ses" créations ? Pour lui, -contrairement au penseur ou à l'écrivain qui créent dans le silence de leur bureau, et ne connaissent la confrontation avec le lecteur qu'indirectement et parfois bien longtemps après la gestation de leur ouvrage-, sortir de son atelier signifie parler et dialoguer directement avec le public, parole et dialogue ayant une importance capitale, renouvelée à chaque exposition, chaque festival ! Il doit donc instiller dans cette création, beaucoup de conviction, beaucoup de gravité, mettre à jour tout son talent. Il sait qu'il lui faut évoluer sans cesse s'il veut que son art soit compris et établisse la communication avec les autres. Il ne peut donc se permettre un art qui ne ferait plaisir qu'à lui-même. Ceci supposant néanmoins l'absence de banalité ; impliquant au contraire la volonté de se dépasser, la conscience d'être une partie –même infime- de l'univers. Son rapport entre lui et les autres (son tête à têtes) ne peut donc être épisodique, il doit correspondre à une relation profondément intériorisée. Sachant que le spectateur est actif dans l'appréciation de l'œuvre et son appropriation, -même si sa volonté, ses connaissances acquises, sa dépendance des contextes, son intelligence, sa compréhension, sa sensibilité ; en un mot sa subjectivité l'empêchent de l’atteindre entièrement- ; il faut lui donner à voir, entendre, l'ensemble devant l'amener à la réflexion. L’approche de ce spectateur étant aussi fonction de la forme de l’objet créé. En effet, il doit s’adapter au support artistique choisi par l’artiste. Puisque toutes les œuvres ne lui sont pas également accessibles ; qu'il peut éprouver du plaisir esthétique là ou un autre éprouvera du dégoût ou de l’incertitude, -ou l'inverse- ; il sera amené à s’interroger non seulement sur l’œuvre elle-même, c'est-à-dire sur le contexte de création, la psychologie, etc., mais aussi sur ce qu’évoque pour lui l’œuvre d’art par rapport à cette subjectivité évoquée plus haut. Ceci l’amènera à se poser des problématiques en relation non seulement avec cette création précise, mais plus généralement par rapport à l’art.

 

            Alors, "tête à tête gracieux", "têtes à têtes" rigoureux, "tête à têtes" philosophique… "tête à têtes" intra-muros de l'artiste avec ses œuvres ou à l'extérieur avec son public… que choisir ? Quel casse-…tête !

Jeanine RIVAIS

 

FIXER LE FIL DE SON HISTOIRE

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          Depuis la nuit des temps, le fil a fait partie de la vie des humains. Alors que se sont développées des civilisations fondamentalement différentes, ce mot a pris paradoxalement des connotations très voisines : Dans la religion bouddhique, les fils qui composent le tissu du monde sont les cheveux de Shiva. Chez les Grecs, filer et tisser sont des occupations divines pour lesquelles Athéna est sans rivale. Chez les Dogons, le métier à tisser est lié à la vie, à la mort, à la résurrection… De la légende d'Arachné à celle de Pénélope ; du tissage cosmique à celui du plus modeste tapis, il faudrait en évoquer toutes les variantes à l'aune infinie de l'univers.

 

          Les mythes nous enseignent que la chaîne est le transcendant, le masculin, la lumière directe, solaire. Que la trame est l'horizontal, les évènements, l'humain, le féminin, la lumière réfléchie, lunaire. Que la destinée de chaque être vivant se déroule au fil des jours et des saisons, au rythme de la course du soleil et de la lune qui déterminent les calendriers…

 

          Chaque peuple enrichit l'humanité par ses traditions, ses légendes, son histoire, tout ce qui tisse sa culture originelle. Les philosophes, les écrivains… ont de tout temps réfléchi sur le tissage lié à la vie ; et affirment que, dans tout écrit, le langage "tisse les mots" qui déroulent son histoire ; tel Shakespeare affirmant que "la trame de la vie est un fil où s'entrelacent le bien et le mal"… Et nul n'ignore que le mot "texte" a pour origine le latin " textus " qui signifie "tissu".

 

          Chaque individu vit dans le temps réel ou imaginaire de son histoire, naît, reçoit un nom, personnalise un espace. Chaque évènement, heureux ou malheureux, est l'un des maillons qui constituent les fils de sa vie. A mesure qu'il vieillit, il évolue, agrandit son espace, repousse grâce à son imaginaire, les limites de la réalité. Ainsi avance-t-il, cherchant son identité.

 

        Appliquées à l'Histoire, ces définitions constituent un indestructible passé qui a déposé ses strates à destination des temps à venir : la broderie dite "Tapisserie de Bayeux" est la mémoire du XIe siècle… Les bas-reliefs, peintures, papyrus, parchemins, livres … relient les fils de l'Humanité. Du va-et-vient du style d'un boustrophédon* aux têtes d'impression d'une imprimante, combien de textes en ont tissé les réseaux infinis, destinés à fixer les règles de fonctionnement des sociétés humaines, ou d'en jalonner le progrès ? Car le progrès s'est mis au service de toutes les disciplines déroulant l'écheveau de l'aventure terrestre…

 

          Rapportées au quotidien d'un individu, à ses aventures, ses bonheurs ou moments difficiles, les réalités naturelles qui les jalonnent trouvent souvent leur définition dans des expressions populaires imagées, directement liées à ce quotidien : "Etre dans de beaux draps", "La vie ne tient qu'à un fil", un couple "se raccommode", une relation "s'effiloche", on peut "tisser des liens humains", "une intrigue se trame"… Plus intimement, que devient ce mot pour quiconque affirme que l'enfant "se file" dans le ventre de sa mère, jusqu'au moment où elle "coupe" le cordon ombilical ?

 

          N'est-ce pas tout cela à la fois et quelque chose de complètement différent qui guide la main et l'esprit des tisseuses, brodeuses, couseuses, pour lesquelles la notion de fil est à appliquer doublement ? Au-delà du côté conceptuel, n'ont-elles pas le sentiment de créer des univers qui les protègent et dont, en contrepartie, elles vont prendre soin ? Et encore la plupart d'entre elles créent-elles à partir de fils achetés prêts à l'usage. Mais que dire des tisseuses de la Cordillère des Andes, de l'Afrique profonde… qui filent la laine de leurs moutons ; cueillent les plantes, les rouissent, les teignent, avant de les tisser ? Ces femmes -puisque la plupart du temps il s'agit-là d'un travail féminin- ressentent profondément, par la transmission naturelle et l'immutabilité de leurs gestes, de leurs attitudes, qu'elles "appartiennent" à une tradition ancestrale. Pour elles, tisser le fil, c'est créer une matière, concrétiser leur "histoire" au milieu de l'inconnu. D'où l'exigence d'une extrême concentration sur elles-mêmes, une intimité, une résonance entre la matière et leur vie, des moments de magie où tout est cohérence. Tisser, est pour elles, un moment de recouvrance, de reconnaissance personnelle : les mains créatrices, les pieds au sol, et la tête dans les nuages, en somme. Par ailleurs, consciemment ou non, aucune n'oublie la symbolique véhiculée par l'aiguille qui va forer un passage, pénétrer dans une intimité délimitée par le fil, "fouir" un territoire. Geste chaque fois générateur de la plénitude du corps, qui "rit" de la volupté des cellules satisfaites. Car, toutes rêvent de toiles, certes, mais aussi de sacs, de petits objets, poupons ou doudous qui les ramènent vers l'enfance, vers les câlins de la mère, vers un univers cotonneux intime, générateur de sensations tactiles autant que visuelles ?... Et puis, lorsque leurs doigts piqués, blessés à force de tirer ou enfoncer l'aiguille, deviennent douloureux, comment ne penseraient-elles pas à ces mains appartenant au passé, qui ont ravaudé, travaillé de manière besogneuse ; et à la chance qui est la leur, de pouvoir transformer cette souffrance en plaisir créatif ?

 

          Par contre, n'est-il pas a priori réducteur de résumer la création d'un artiste aux seuls fils de trame et de chaîne ? Alors que son imaginaire fuse de tous côtés, en tous sens, se cherche, se diversifie et se différencie d'une œuvre à l'autre ? Que le fil de son aventure est par définition indompté, chaotique, où se mêlent hasard et volonté, noir psychologique et vive lumière ? Et cependant, tout artiste n'est-il pas une sorte d'être hybride dont la double identité est source de perpétuel auto-questionnement, puisqu'il est partagé entre le fil de sa vie personnelle et celui de sa création qui en découle bien souvent, ou en témoigne ? Qu'il faut parler à son propos, de déchirement et d'enrichissement permanent des deux versants de son vécu ; de cette dualité qui lui permet de tisser à la fois le fil de son histoire réelle, et l'enrichir des nuances de la fiction. Sans oublier que parfois, une œuvre magistrale naît de son imaginaire conjugué à celui d'un autre : qui n'a admiré les manuscrits où scribe, poète, enlumineur, ont, pour témoigner de leur temps, entremêlé leurs interventions, amenant l'ouvrage à une parfaite osmose entre la façon de "tisser le texte", entrelacer les arabesques : écrire et broder pour l'éternité ? C'est par l'infinitude de ces symboliques que tout se mêle et se démêle dans ces vies hors du commun ; que des fils se nouent et se dénouent. D'où cette intuition d'être des passerelles, d'assurer le lien d'un point à un autre, d'un temps à un autre : perpétuer le passé, et œuvrer, imaginer, fantasmer vers l'avenir. Partir de la tradition, et innover pour chercher leur identité. Fixer le fil de leur vie, de leur histoire.

 

          Le Festival de Banne a bien compris cette démarche qui, deux fois l'an, donne à des artistes souvent inconnus, la possibilité de participer à cette grande chaîne, dont ils deviennent les maillons modestement ajoutés un à un. Maillons auxquels s'attachent, avec toutes les particularités évoquées plus haut, certaines créatrices d'œuvres de textile, qui trouvent périodiquement en ces lieux, un accueil les reliant sans distinction, aux peintres et sculpteurs.

 

          Tous ensemble, donc, filant, tissant, fixant le fil de leur histoire…

Jeanine RIVAIS

NUL NE GUERIT DE SON ENFANCE

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          "Guérir" : Voilà un verbe bien grave ! Soit transitif et il implique alors l'action d'une personne sur une autre (guérir quelqu'un). Soit intransitif et il signifie "recouvrer la santé", physique ou mentale. C'est dans ce deuxième sens que nombre d'écrivains ont longuement parlé négativement de ce problème (ne pas guérir) et que Jean Ferrat a lancé sur un air tour à tour bon enfant, dramatique puis optimiste, la phrase célèbre : "Nul ne guérit de son enfance" ! 

Mais, s'il "faut" guérir de son enfance, de quoi souffre-t-on ? Le problème ne se pose pas seulement pour les violences physiques ; mais aussi les violences mentales, invisibles mais tellement plus dévastatrices et dissimulées. Il faudrait alors évoquer la vie depuis la naissance et les premières années où, dans son innocence primale, n'ayant aucune idée préconçue sur lui-même, l'individu est d'une extrême vulnérabilité, d'une extrême dépendance ; où l'image qu'il a de lui-même est liée à la personnalité de son entourage, la façon dont celui-ci le considère. Evoquer tour à tour l'influence mortifère d'une mère-goule, castratrice et autoritaire. Celle d'un père dominateur, tyrannique et humiliateur. Parcourir les influences de l'absence de famille (abandon, indifférence, guerre, etc.) Celles aussi, dues au syndrome d'aliénation parentale, qui amène l'enfant à rompre tout lien affectif avec un parent. Et, bien sûr, ne pas oublier les blessures extérieures (les moqueries, les brutalités… à l'école ; les cruautés de tous ordres, etc.)

          Comment alors, contrairement à ce que dit le titre, guérir de son enfance, de ses traumatismes, échapper à sa jeunesse, guérir de son passé ? Comment oublier ? Le plus difficile n'est-il pas pour l'individu, de considérer la façon dont il est devenu méfiant vis-à-vis de lui-même, dont son regard sur lui est négatif, dépréciateur ? De prendre à bras-le-corps, les causes et les conséquences de toutes les empreintes accidentelles, devenues avec le temps cicatrices profondes ? Et petit à petit –parfois en se faisant aider- de "liquider" ses blessures, se re/valoriser, assumer ses désirs, "oser", prendre des risques à titre personnel, transformer en force sa souffrance, avoir des rêves pour "demain".

 

          Il semble que l'un des moyens les plus sûrs de cette démarche vers la guérison, soit la résilience : Parmi les multiples auteurs célèbres (Ernest Renan, George Sand, Marcel Pagnol, Nathalie Sarraute, Georges Pérec, etc.) ayant traité de cette faculté de résilience** -même si le mot n'existait pas encore-, le plus contemporain soit Boris Cyrulnik, racontant comment, à 73 ans, enfin revenu sur les lieux de son enfance, il peut "faire de l'archéologie sur lui-même", se confronter à sa représentation du passé, "les morceaux de vérité que l'on arrange". Il décrit comment il lui suffit d'un infime détail pour faire remonter à la surface "l'émotion enfouie". Réaliser qu'il a vécu, en somme de la "légende du souvenir", élaborée pour aller de l'avant, vivre, survivre… Ses atouts ayant été son aptitude à la curiosité, sa prédisposition à la gaieté, mais surtout "l'insoumission, le goût de la désobéissance", le refus de la résignation, la capacité à faire face, saisir les opportunités, fabriquer les occasions, observer, chercher… Et puis, le fait d'être rebelle qui lui permit toujours "de se déterminer par rapport à soi, (de fureter) partout pour trouver des solutions"... Ce serait là, l'issue pour tout individu placé dans semblable situation.

          Autre moyen –mais c'est finalement le même-, depuis les "Confessions" de Jean-Jacques Rousseau, l'autobiographie constitue une forme particulière de "l'écriture de soi" et des "récits de vie". Elle s'est renouvelée avec l'avènement de la psychanalyse, permettant à tous ces auteurs, peut-être pas de "guérir", du moins de "vivre harmonieusement avec" leur mal-être né dans l'enfance. 

 

          A considérer leur vie et leur histoire, n'est-ce pas encore une autre manière de résistance qui a permis à tant de personnes enfermées derrière des murs asilaires ou carcéraux, de se mettre un jour à sculpter, dessiner ou peindre quand les moyens du bord leur en donnaient la possibilité, et grâce à toute la psychologie qu'ils déversaient dans ces œuvres situées "entre l’amour et la mort, le rire et le cri, la souffrance et l’extase"*, en venir à souffrir moins ?

          N'est-ce pas la même situation que vivent nombre d'individus, même s'ils sont libres, lorsqu'ils se mettent un jour à créer dans le silence et la marginalité. Créateurs étranges, non-conventionnels ; bousculant tout classicisme par leur dynamique picturale, leur sens exacerbé de la couleur, leurs déséquilibres et leurs dissymétries chaotiques, leurs expressions à la fois vraies et fictionnelles… Rêveurs, naïfs, bouleversants, provocateurs, dans l’urgence toujours. Réalisant des oeuvres où l’on perçoit la force du dialogue entre eux et leur production qui, souvent, révèle crûment leurs combats. 

          Peindre, sculpter sont une autre façon d'écrire. Qu'ils écrivent, qu'ils peignent ou sculptent, à chaque fois, ces créateurs repartent du désordre enfantin de leurs émotions, des premiers mots qui leur viennent. De formes arrachées au matériau ou de taches de peinture sur une toile. Après, s'engage en eux une aventure, menée en grande partie inconsciemment, d'expérimentations et de tâtonnements, d'avancées et de reculs. Jusqu'au moment où leurs détresses profondes s’étant épanouies, leur "dit" sublimé, transféré sur la toile, dans la terre... il leur est impossible d'aller plus loin, parce qu'ils sont parvenus à une forme d'évidence. 

          Subséquemment, n'est-ce pas à Danielle Jacqui ; à Louis Chabaud ; à Marthe Pellegrino ; plus récemment à Jean-Luc Bourdila et à Jean-Louis Faravel ; à d'autres… que revient le mérite d'avoir compris la force créatrice de ces marginaux, leur donner la liberté d'expression, la possibilité de "raconter" sans tabous leur mal de vivre, en ayant su regrouper leurs paradoxes, exalter leurs antithèses, pointer leurs ressemblances, encourager leurs différences ? De permettre à chaque artiste, grâce à leurs festivals, de témoigner face au public, de sa quête d'un absolu, SON absolu, SON rêve, SON utopie … SA conviction que "Nul ne guérit de son enfance" et n'en a finalement peut-être pas envie ! 

          Rendez-vous à Banne en 2011, 2012… et encore après… !

Jeanine RIVAIS

* Samir Fouad artiste.

** La résilience est un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression. La résilience serait rendue possible grâce à la réflexion, à la parole, et à l'encadrement médical d'une thérapie, d'une analyse.

TRACES, RACINES, MEMOIRE, TERRES, MOTS MAITRES

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           Il faut se résoudre à prendre ce titre par la fin. Admettre que, pour faire un "jeu de mots", les "mots maîtres" sont également pris à l'envers, puisque la formule est, habituellement, "maîtres mots" ! Convenir que ces maîtres mots seront à suivre à la lettre, qu'ils ont été choisis pour leur concision et leur retenue, pour l’affirmation d’une urgence à les accoler afin d'explorer l'immensité de l'impact qu'ils véhiculent : Traces, Racines, Mémoire, Terres. Partir de leurs définitions originelles, et voir comment elles peuvent s'appliquer au monde de la création ? 

          La trace est le vestige que laisse un homme à l'endroit où il a passé. Elle est aussi l'impression, la marque psychique que des objets, des aventures produisent sur l'esprit. "Silencieuses", les traces témoignent de cicatrices psychologiques ayant pour nom l'exil, la rupture, la déportation, l'abandon… des instantanés de vérité qui touchent directement le cœur, s'incrustent dans la mémoire. Au-delà, dans sa valeur plus générale, la trace considérée comme mémoire, peut également être un document témoignant du passé, permettant par la connaissance de l'évolution de l'histoire, d'explorer les racines originelles.

          Au-delà de la racine solidement ancrée d'une plante, le problème ne se pose-t-il pas en effet pour chacun de "retrouver ses racines", le fil chaotique de sa vie, retracer son histoire afin de laisser une trace, apporter un témoignage, exprimer une sensibilité, faire oeuvre de mémoire.

          Retrouver la mémoire de ses racines, le lien avec le passé, implique de retrouver la conscience de soi. Naguère, où conserver et transmettre des événements de l'histoire se faisait par tradition orale, il était nécessaire de posséder une mémoire bien aiguisée. Transmettre était synonyme de solidarité avec les générations précédentes, une façon de construire le présent et préparer l'avenir, en fonction de l'image mémorielle. Il s'agissait de révéler le poids de l'Histoire sur l'histoire particulière des peuples ; et de démontrer que chaque individu est le produit de multiples contradictions, de tragédies et d’espoirs, de guerres et d’engagements…

          Terre : Depuis les temps les plus obscurs, depuis la première histoire dont l'homme ait eu conscience, celle-ci s'est écrite dans la terre. C'est en terre que furent modelées les plus anciennes figures retrouvées. Alors que les populations ont de tout temps convoité les métaux ; alors que le bois est putrescible et inflammable, la terre a toujours été la mémoire par excellence des civilisations, à cause de sa résistance naturelle à l'usure du temps, et parce qu'une fois confiée au feu, elle n'est pas réemployée. 

 

          La terre ! Au dire de tous ceux qui l’ont un jour pétrie, elle exerce à jamais un pouvoir irrésistible ! Mais n'est-ce pas un miracle de retrouver dans des patines si chaleureuses, des formes si riches remontant, à travers le monde, à des époques où, pour longtemps encore, la France ne serait même pas la Gaule, avec ses dieux de pierre aux silhouettes à peine ébauchées ! Depuis la Dame de Brassempouy, premier visage humain vieux de 25000 ans ; aux sculptures des périodes du Jomon japonais remontant à plus de 5000 ans avant J.C. ; à celles de l'Afrique des origines ; à l'armée des guerriers grandeur nature du premier empereur Qin… l'émotion est perceptible dans la relation à la terre, de milliers de créateurs, leur plaisir de donner une forme à une boule d'argile, conjuguer les couleurs et le graphisme, trouver l'harmonie entre esthétique et destination, laisser des traces en un lieu privilégié : des traces en terre. 

          Traces de l'artiste, mais aussi du visiteur qui contemple l'objet. Qui va, peut-être, en le touchant, lui donner une seconde vie, générer de nouvelles traces, de nouvelles émotions éprouvées à contempler des oeuvres apportant la mémoire d'autres peuples ; d'origines parfois si lointaines mais donnant une telle impression de proximité. Tantôt provocatrices ou tendres, tantôt évocatrices ou réalistes, imposantes ou modestes… Sculptures fascinantes, aux morphologies imprévisibles ou ambiguës ; véhiculant tour à tour un tel sens de l’humour ou de la gravité, de l’érotisme raffiné ou de la brutalité, de la cérébralité ou de la sensualité ; une telle maîtrise de l’infime détail ; un tel talent à faire jouer la lumière sur ses courbes ou ses arêtes, un tel sens du volume, de l'espace et de la densité : un tel savoir-faire, en somme, dans l’art de travailler la glaise, qu'elles suscitent immanquablement respect, admiration et regret à les quitter !

 

De même, parmi ceux qui viennent à Banne, quelques sculpteurs participent-ils de cette complicité, emmènent-ils le visiteur en un périple qui plonge ses racines dans la mémoire, à la recherche de marques, d'indices, de traces. Proposant un langage universel. Cheminant "vers" quelque destination sans doute connue d’eux seuls, celle qui depuis la nuit des temps rapproche les hommes au-delà des races et de l’histoire. Traces et empreintes se mêlent avec les nuances de la terre. Une écriture sculpturale et graphique hors du temps, intimiste, fouissant profondément, proposant à chaque visiteur sa propre lecture subjective. Un lyrisme sculptural de leur désespoir ou de leur propre fantasmagorie. Chaque fois, une nouvelle manifestation vitale, belle et surprenante, repoussante et fascinante, fallacieuse et sincère, profonde et déraisonnable, réaliste et illusoire, originale assurément : Ainsi est-il bon de parcourir avec ces "élus", des voyages au cours desquels s’accumulent des impondérables, admirer des oeuvres qui se détournent de l’itinéraire prévu, pour devenir réflexions sur la solitude, la difficulté d’être, sur le précaire équilibre qui lie les êtres... Se dire que, finalement, quelle que soit leur "destination", quelles que soient les traces mémorielles qu'elles proposent, elles sont, par le mélange d’éphémère et de durable qu’elles véhiculent, par leur totale adéquation entre création et imaginaire, porteuses d’un message intemporel d’une poésie puissante. Par elles, leurs auteurs illustrent cette phrase de Nietzsche : "Avoir du chaos en soi, pour accoucher d’une étoile qui danse".

 

          Pour ces quelques créateurs qui, en toute sincérité, fouissent au plus profond d'eux-mêmes afin de laisser sur leur sculpture la trace des matériaux, de l'usure du temps, de leur particularisme par rapport à l'histoire de l'art, de leur propre histoire en somme, se référant subséquemment à la problématique de l'art et de la mémoire, il faut se rendre aux deux festivals de Banne 2011. Et rendre grâce, une fois encore, à Marthe Pellegrino, d'avoir offert tant aux artistes qu'au public, cette possibilité.

Jeanine RIVAIS

BANNE 2011

NOUVEAU SITE : http://jeaninerivais.jimdo.com/

REALISATION DE 18 ENTRETIENS ET 4 TEXTES

 

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BANNE 2012

AU FIL DU TEMPS, AU FIL DES CHAMPS 

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            En 2009, le XIVe festival de Banne se déroulait sous le titre "Tisser le fil de son histoire". En 2012, il sera de nouveau question de fil, de tissu, de tissage… assurant tous les créateurs d'œuvres en textiles, qu'ils ne sont plus les mal aimés, que si cet art a été très souvent mis de côté parce qu'il était essentiellement féminin, il ne s'agit plus seulement de broderies, canevas… à usage domestique, ni de tapisseries qui seules trouvaient grâce sur les murs seigneuriaux ou les riches demeures ; qu'il s'agit désormais d'une création à part entière, de ou avec des étoffes. Réjouissons-nous, car certains artistes apportent des qualités très originales à ces nouvelles manifestations de créativité.

            Il faut dire que le travail du textile remonte aux plus lointaines origines des civilisations, mêlant réalité et légendes : il n'est que de penser à celle des Parques qui, de la naissance à la mort, tissent le fil de nos vies, à celles entourant l'existence du Saint-Suaire… se remémorer que pendant des millénaires le commerce des tissus a été prospère (lié d'ailleurs souvent à celui des colorants, essentiels aussi dans l'art textile); parcourir avec Marco Polo la route de la soie ; revoir les Très Riches Heures du Duc de Berry ou autres nobles dont les costumes somptuaires ont enchanté le Moyen-âge et la Renaissance ; imaginer plus tard Louis XIV couvert de vêtements de fil d'or, au point d'être appelé le Roi Soleil ! Et admettre que les plus extravagantes démonstrations des grands couturiers contemporains font rêver ceux et celles qui ne sont habillés que de vêtements taillés en séries ! Savoir, par ailleurs, que l'art textile a de tout temps eu un rapport direct avec l'écrit, puisqu'en Asie, par exemple, dès le XIIe siècle, il s'imposait en tant qu'art populaire mineur, découlant de la calligraphie japonaise.

          Plus modestement, chacun peut penser au temps où la suprême marque de respect était d'envelopper un mort dans un linceul ; et admirer le magnifique travail réalisé sur les bandelettes qui entourent encore les momies millénaires égyptiennes, chrétiennes… Penser que depuis toujours, le geste incontournable consiste à entourer de linges, un nouveau-né ; première sensation que, d'ailleurs, il prolonge avec son "doudou" auquel il est viscéralement attaché et qui l’aide à supporter l’angoisse d'être séparé de sa mère, tout en gardant celle-ci symboliquement présente. Revivre enfin la relation des petites filles avec leur poupée, et remonter aux dures périodes de guerre où, n'ayant aucun jouet, elles les cousaient elles-mêmes avec des fils de fortune et des bouts d'étoffes chapardés dans la corbeille de leur mère ; histoire délicate de ces femmes en miniature, avec ces objets puissamment psychologiques, situés entre peinture et sculpture par les jeux de couleurs ; et tactiles par la texture des tissus.

            Au fil des siècles, comment est-on passé de ces réalisations qualificatives de la vie banale, à la notion d'"Art textile" ? Comment cesse-t-on d'"en découdre avec le quotidien", et décide-t-on de s’inspirer de ses savoir-faire pour s'engager dans une recherche originale située entre arts appliqués, visuels et décoratifs ? Il faut dire que ce sont des femmes qui ont pris à bras le corps, cette mutation : l'une des premières fut Marie Laurencin qui, se réclamant de l'influence du fil, exécuta non pas des tableaux mais des costumes de théâtre. Mais l’expression d’une esthétique personnelle commence réellement en 1958, lorsque Bona de Mandiargues, proche des Surréalistes, déclare "puisqu’une femme ne peut faire de la peinture alors je ferai de la couture", et contribue à l’élaboration "d’un art textile reformulé" désigné ultérieurement sous le label "Soft-Art". Mais bientôt, en une sorte de rage créatrice, elle malmène, déchire, tord ses tissus… d'où l'obligation de les "reconstruire", composer autrement les personnages qui y apparaissent ; rejoignant, liant, surpiquant, surbrodant les bords, remplaçant les mots criés par des entrelacs, des tissages de fils… Puis viennent Christiane de Casteras et Andrée Marquet dont les travaux et peintures textiles déclenchent un tel enthousiasme identitaire que des artistes féminines se chargent de créer le groupe "Art et Regard" et ouvrent en 1980, un atelier-galerie dans lequel les trois premières exposantes résument leur démarche par ces mots : "Elles se sont rencontrées dans le désir d’articuler leur travail de tissu, de peinture et de terre. Elles ont trouvé entre elles un sens, du familier, des résonances…".

          Voilà l'art textile devenu presque un art autobiographique, par lequel chaque artiste peut panser ses blessures au fil des mots, à l'instar de ce qu'il fait sur la toile ou dans la terre ; se créer un monde nouveau ; constituer avec des appliques cousues une approche identique à celle des collages. Ce mélange entre l'expression et la forme au moyen de la manipulation des textiles, du dessin parfois, de l'écriture souvent ; ces éléments figuratifs qui précisent la signification de l'œuvre, l'orientant vers de nouvelles sensations, permettant à chacun d'y lire ses propres histoires créent, en somme, un lien entre lui et le spectateur.

 

          Les valeurs de l'art étant en perpétuel changement, toutes ces créations textiles intéressent désormais des artistes parmi les plus célèbres : Sans aller dans les grands lieux de l'Art contemporain où nombre d'entre eux ont choisi cette forme d'expression (Annette Messager, Louise Bourgeois...), les musées d'Art singulier regorgent de fresques, personnages, sculptures, combinaisons de matières différentes et de textiles (Judith Scott, Internée de Bonneval, Madge Gill, etc.).  Et même en privé ou dans les festivals abondent aujourd'hui coutures, tissages, tricots, broderies, etc. Pour n'évoquer que quelques auteurs (la majorité restant des femmes, sauf  les tapisseries d'Adam Nidzgorski non plus cousues à la main par leur auteur, mais désormais réalisées sur des métiers par des liciers ; ses personnages ayant néanmoins gardé leur instinct grégaire et leurs grands yeux apeurés d'autrefois) ; citons Danielle Jacqui "Celle qui peint", ses mariées et ses femmes grandeur nature brodées de la tête aux pieds ; les habitats de Marie-Rose Lortet, crochetés de lin blanc et amidonnés, ou tricotés à l'infini en laines de couleurs vives ; les personnages d'Esther Chacon, coiffés de sortes de némès pharaoniques, drapés de pied en cape, les bras en majesté ou au contraire, serrant contre leur corps un tout petit enfant ; Les fragments de Nathalie Dumonteil, faits de pièces de tissus surajoutés, sur lesquels sont fixés les "dits" de l'artiste. Et, perles des réalisations actuelles, les œuvres de Nicole Bayle, qui expose parfois sur la plage de Dieppe son immense tapisserie longue de trente-cinq mètres, sur laquelle elle a œuvré pendant quatorze ans ; si riche en couleurs, tricotée rang à rang, maille à maille, telle une obsession, l'obsession qui poussait naguère les créateurs d'Art brut à pointiller, décorer, encore et encore leurs œuvres.

            A Banne, où cette forme d'art est présentée côte à côte avec le métal, la terre, le bois, etc., il est bon de retrouver Laurence Malval qui, partant d'une pièce de tissu ou de vieux travaux de broderie qu'elle récupère, les combine avec des éléments qu'elle brode à la main ; y pose des pièces prédécoupées ; dessine dessus à l'aiguille ; ajoute des bouts de fil, comme naguère des bouts de papiers sur ses dessins. Les mélange. Ignorant à l'origine, si l'ensemble sera rigide ou souple ? Acceptant par avance toutes les possibilités. 

          Dany Jacobs dont les œuvres sont un métissage de chanvre, de crin végétal, d'argile… Créant ses "philosophes" blancs, alors que ses autres personnages, énormes, sont gris, bistres, tristes en fait. Dont elle dit qu'ils expriment ce qu'elle est, "c'est-à-dire quelqu'un qui est très mal". Mais pour qui la création est un bonheur, un espoir. Le moyen d'entrer en relation avec "autre chose". Allant plus loin, même, affirmant : "Mon travail, C'est moi, c'est ma sexualité… je veux dire que j'exprime une partie de moi qui est encore inconnue, qui peut se rapporter au "bondage" peut-être ? Une certaine exhibition. Tout en étant coquin et féminin".

          Catherine Prébost affirmant que le tissu a envahi ses toiles : Parlant non pas en termes d'"obligation", mais de "nécessité". Partant dans une élaboration, où elle avance au gré de ce qu'elle sent et de ce qu'elle voit. Brodant ses personnages qui ont toujours l'air d'être en train de sauter, gigoter, vagabonder, tout au moins de marcher !

          Gil, qui travaille selon l'inspiration dans le recyclage. S'étant donné un objectif de base, qui est de travailler uniquement à transformer en objet d'art ce qu'il a récupéré, tissus, peintures et bois. Désireux de parvenir à son propre style. Allant jusqu'à s'habiller, comme le support de ses toiles, de jeans trouvés dans les déchetteries, travaillés à sa façon, customisés. Sa manière de se démarquer de la société.

          Et puis, fidèle parmi les fidèles depuis plusieurs années, Véronique Devignon dont le point de départ est d'interroger les expressions de la vie qui disent des choses sur "le fil" : "Etre dans de beaux draps", "La vie ne tient qu'à un fil", un couple "se raccommode", une relation "s'effiloche", on peut "tisser des liens humains"… Tous liens qu'elle essaie de représenter avec son aiguille. Tellement plongée dans cette création qu'elle a lié textile et poésie ; et qu'elle écrit parallèlement, des poèmes:

Des petits morceaux du passé…

Des petits morceaux détachés

Attachés, rattachés

Au fil de ma vie

A petits points serrés

 

Des petits morceaux du passé

Dépassés, bien repassés,

Reposés, bien disposés

Sur la partition des nuits,

Sur la disparition des jours. (Extraits)

 

          En tous lieux, en tout temps, mille façons en somme, de travailler les fils avec toute la symbolique évoquée plus haut, filer, créer des univers en relief, tisser "au fil du temps, au fil des champs". En attendant les "nouveaux" qui apporteront des idées inexplorées.                            

                        Jeanine RIVAIS

BANNE 2012 

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REALISATION DE 41 ENTRETIENS

 

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BANNE 2013

DE L'AGE DE FER A BANN'ART DANS FER… FAUT PAS SANS FER !

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           Avant, bien avant, sans doute, ce qui a été appelé l'âge de fer, des populations de tous horizons connaissaient la métallurgie du fer, celles du bronze (encore plus anciennement), du cuivre, de l'or, etc. Pour en être convaincu, il n'est que de considérer le contenu des tombeaux découverts, des ruines exhumées des peuples antiques Scandinaves, des civilisations précolombiennes, des périodes prédynastiques égyptiennes, de l'Afrique intertropicale... On pourrait à l'infini, en ajouter d’autres sans jamais parvenir à les citer tous ! D'autant que la fascination de forger ces métaux bruts pour en extraire objets guerriers, quotidiens, cultuels, bijoux... est née parallèlement, et s'ajoute à celle du feu, indispensable compagnon de ces gestations. 

          Le feu, dont chacun connaît l’irrésistible attraction, et qui permet d'animer le métal, donner à des imaginations effervescentes le pouvoir de partir d'un bloc informe, un matériau à façonner, à adapter, pour parvenir à un objet ayant une identité propre, mystérieuse parfois, réaliste souvent. D'où la tentation de délaisser l'argile, le plâtre, le marbre même, pour les métaux dont la gamme s'est enrichie au fil du temps (laiton, aluminium, acier Corten, inox...).Tout près de nous, dans les années 30, plusieurs sculpteurs éblouis par la richesse et la diversité des sculptures africaines, se sont lancés dans le travail du métal : Julio Gonzales, considéré comme le père-fondateur de la sculpture sur fer moderne, dont les premiers reliefs furent des visages et des figures directement découpés dans la feuille ; Gargallo, Pevsner, Calder... Giacometti... Et, bien sûr, l'incontournable Picasso qui, d'élève de Gonzalez devint le génial touche-à-tout que chacun connaît. Inventant. Innovant... Car il est totalement différent de projeter mentalement son œuvre dans un bloc de marbre, dans un tronc d'arbre... et le découper, ou le souder, dans ou à partir d'éléments métalliques ! Depuis lors, parcs, jardins, façades... se sont peuplés de sculptures gigantesques humanoïdes, taurines, équines, etc. Pour ne parler que des œuvres figuratives.   

          Toutes réalisations massives, ou au contraire volant dans l'espace, se cherchant, se retrouvant, s'enlaçant comme celles, invraisemblables, de Raymond Moralès forgées dans les sentiments et donc dans la vie ; plus grandes que nature, conçues à la démesure de l'artiste. D’autres encore... en venant parfois à une magie aussi puissante que celles auxquelles le visiteur était accoutumé avec le bois, la terre...

           Pourtant, il est beaucoup plus difficile de créer à partir du métal, de par sa rigidité, une œuvre dont le contact serait chaleureux dans la main. Ces créations sont rarement rapportées au quotidien d’un individu, à ses aventures, ses bonheurs ou moments difficiles, les réalités naturelles qui les jalonnent. Il est à remarquer, d'ailleurs, que si la sagesse populaire ou les écrivains peuvent user de ces mots pour des comparaisons, elles impliquent toujours froideur, rigueur, voire humour méchant. Néanmoins, la vanne ouverte, déferlent depuis lors les créations les plus diverses : générant naturellement force, puissance, violence ; et paradoxalement amour, douceur, tendresse, désarroi, humour...

          Ainsi, parmi les artistes qui ont, un jour, décidé de se confronter aux métaux, ceux qui viennent à Banne, et qui en 2013 joueront sur les mots avec un "Banne... d'enfer", festival "Bann'Art dans fer", participeront-ils de cette complicité. Ils prouveront sans doute que le fer originel s’exprime depuis son éclat rouge vif issu de la forge, avant d’être martelé, courbé... à celui corrodé par le passage du temps, ressuscitant par la soudure des Récup' qui ont traversé des générations, auxquelles ils donnent une seconde vie en les réunissant au gré de leurs fantasmes ; à celui carrément tordu à la main, atteignant des souplesses inattendues, esthétiques, expressives... jusqu'au simple fil de fer sculptant, dansant ses ombres sur le mur. Ainsi, emmèneront-ils le visiteur en des périples qui le mettront face à face avec des écritures sculpturales et graphiques hors du temps, proposant des rutilances ou des matités toutes particulières ; chacun lui proposant sa propre lecture subjective. Ne manquez donc pas ces festivals "dans fer" !

Jeanine RIVAIS

BANNE 2013

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REALISATION DE 34 ENTRETIENS 

 

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BANNE 2014

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REALISATION DE 38 ENTRETIENS

 

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BANNE 2015 

UN FESTIVAL JOUANT SUR LA MEMOIRE

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          Seize ans déjà ! Et vingt-six festivals ! 

 

          Qu’est-ce qui, chez le couple Jean-Claude Crégut et Marthe Pellegrino, a généré au début du XXIe siècle, une motivation suffisante pour créer dans leur minuscule village, un festival d’Art singulier ? S'y investir depuis lors totalement, de façon bénévole ? 

 

          A coup sûr, un intérêt depuis longtemps vivace pour les créations marginales, à tout le moins originales ; un brin de nostalgie peut-être pour la perte de certaines valeurs de l'Art dit "contemporain" ; beaucoup de passion et l’amour des artistes ! Et une pugnacité infinie, pour imposer leur manifestation, année après année, jusqu'à la rendre bisannuelle ! 

 

          Créés à partir de rien, en fait, ces festivals. Mais dès l'abord protéiformes, s'enrichissant peu à peu d'œuvres qui y déclinent à l’infini humour, souffrance, plaisir, quotidien et fantasmes, liberté et insolence… Acceptant, de ceux qui se revendiquent de l’Art contemporain, une gamme de compositions plus éclectiques, plus raisonnées parfois, plus cérébrales souvent. Débordant de temps à autre sur l'artisanat ! De "Banne Art singulier" à "Bann'Art, Art singulier, Art d'aujourd'hui", du village originel à l'expansion vers quelques bourgs voisins heureux de l'accueillir, cette manifestation a bousculé en somme, toutes les appellations pour devenir un lieu de création sinon toujours marginale, du moins dissidente, qui par ses "différences" comble de plaisir la curiosité et le cœur des visiteurs.

 

          De thème en thème, parvenu à sa vingt-cinquième édition, Bann'Art a parcouru tout ce qui parle au cœur, aux sens ; éveille les intérêts ; titille les appétences. 

 

          L'année 2015 sera, en tout cas, spéciale : le repos du "guerrier" peut-être, d'une Marthe Pellegrino désireuse de faire le point ? Une reprise de souffle avant un nouveau départ ? Une sorte de révision générale des apports artistiques précédents ? Seuls, en tout cas, seront invités des artistes ayant déjà partagé les destinées de ce festival.

 

        Qu'en sera-t-il pour ces peintres, sculpteurs, collagistes, créateurs d’Art-Récup’… Ils reformeront pour un printemps une équipe vivante, multiforme, colorée, respirant la jeunesse du cœur et de l’inspiration, dans la convivialité de leur proximité retrouvée. 

 

          Qu'en sera-t-il pour Marthe Pellegrino pour qui "Faire partager les jouissances de l’art, éveiller la curiosité et l’esprit de recherche, provoquer des chocs inattendus, des rencontres imprévues, des coups de foudre artistiques… Transmettre sa passion exaltée et parfois envahissante" (¹) sont l'éternel motu proprio ? Elle aura le plaisir de retrouver des artistes à qui elle a dans, le passé, une ou plusieurs fois, fait confiance pour retrouver "ces petits morceaux de mémoire, dans lesquels le regardeur peut trouver secrètement des petits morceaux de lui-même. "Ces petits morceaux de mémoire" (qui) "sont autant de clins d’œil à la vie"… (²)

 

           Qu'en sera-t-il, enfin, pour le public, assurément surpris de ce changement ? Nul doute qu'il aura infiniment de plaisir à retrouver des anciennes –parfois très anciennes- connaissances, et que certains retours lui permettront d'effacer des regrets de n'avoir pas, une année précédente, acheté telle peinture ou telle sculpture ! 

 

          Quels que soient les changements, Bann'Art Art singulier, Art d'Aujourd'hui" nouveauté comme à l'habitude, ou réédition comme en 2015, reste un événement pictural incontournable, "à déguster par les grands et les petits, avec gourmandise et curiosité" ! 

Jeanine RIVAIS

(¹) Extrait du discours 2009 de Marthe Pellegrino.

(¹) Extrait du discours 2010 de Marthe Pellegrino.

 

BANNE 2015 

ABSENTE DU FESTIVAL POUR INVITATION AU FESTIVAL SINGULIEREMENT VOTRE DE MONTPELLIER

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BANNE 2016 

"TERRE D'HISTOIRES. HISTOIRES DE TERRE"

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          NOTICE : Revenus dans les murs traditionnels de Banne, après avoir investi des villages voisins les années précédentes, les exposants de 2016 ont animé comme naguère les Ecuries, la Grotte du Roure, la Maison de la Cheminée, et la Salle de l'Art actuel.  

          Comme chaque année, une nouvelle série de festivaliers "est arrivée" à Banne, "village de caractère", avec son précieux mélange d'"anciens" et de "nouveaux". 

          Pour la première fois, Bann'Art proposait à son public un festival supplémentaire, presque à l'arrivée de l'automne : "Terre d'histoires, Histoires de terres" ; dans une formulation jusque-là inédite : Uniquement des œuvres de terre, sculptures et poteries. 

          Pour l'œil habitué depuis des années à voir tous les murs se couvrir de tableaux, le spectacle était surprenant de ne plus voir que des œuvres posées ! D'autant qu'une grande partie de ces œuvres appartenaient à ce qu'il est coutume d'appeler "des utilitaires" !

          Malgré la nouveauté, le public est venu nombreux ; le vernissage chapeauté a été comme de coutume un régal pour les yeux face à tous les imaginaires dévolus aux coiffes. Même le temps était de la partie, qui a joué "plein soleil" pendant tout le festival ! J.R.

 

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BREVE HISTOIRE DE LA CERAMIQUE ET DES CERAMISTES

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          Le mot "céramique" vient du grec "keramos" qui signifie argile. Il désigne un matériau qui n'est ni sylvestre, ni métallique. D'une manière plus générale, le terme renvoie à la fois à la matière et à l'objet.

          La céramique fut le premier "art du feu" à apparaître, bien avant la métallurgie et le travail du verre. Les premières traces d'utilisation de la céramique remontent au Paléolithique (29000 ans avant J.-C.). Toutes relèvent du domaine cultuel. La dame de Brassempouy (dans les Landes) et la Vénus paléolithique de Dolni Vestonice (Tchécoslovaquie), représentations féminines, sont deux des plus anciens témoignages de création en céramique. L'utilisation domestique (plats et jarres) apparaît au Néolithique (10000 ans avant J.-C.). 

          L'utilisation de la terre comme expression artistique se développe plus tard, à mesure de la sédentarisation des peuples. Partout, les œuvres de céramique témoignent de l'art de vivre des civilisations qui lui donnent des formes et des décorations de plus en plus élaborées : vases grecs, poteries précolombiennes, sculptures africaines, céramique et porcelaine japonaises et chinoises, céramique et porcelaine d'Europe et du Moyen-Orient…

 

          La céramique se divise en trois branches : la céramique domestique, principalement la poterie, parmi les plus anciennes formes de céramique, où l'on utilise les terres argileuses comme matériau de base. La céramique artistique dérivée de la précédente, où l'on délaisse la fonction utilitaire pour se concentrer sur la valeur décorative ou esthétique. La céramique technique, à usage industriel (prothèses, sanitaires…), qui se développe à partir du XXe siècle, où l'on utilise des matériaux à base d'oxydes, de carbures, de nitrures, etc.

          Les argiles naturelles, brutes ou légèrement modifiées (dépierrage, ajout de chamotte), sont naturellement colorées par des composés du fer. Le façonnage se fait généralement par extrusion, pressage ou calibrage. La cuisson se fait à basse température (900° à 1000°), et l’on obtient une assez bonne résistance mécanique tout en évitant des déformations et des retraits de cuisson importants. Le tesson obtenu est coloré, poreux, opaque, terne, relativement fragile. On fabrique ainsi principalement des briques, tuiles, carreaux et de la poterie horticole.

          On utilise des argiles colorées ou non et des pâtes plus élaborées (kaolins, feldspaths, chamotte, silice) pour ce qui s'appelle le grès. Une pâte à grès ne contient pas, ou pratiquement pas, de calcaire. Toutes les méthodes de façonnages sont utilisables. Le biscuitage se fait vers 900° à 1000°, en oxydation. La cuisson d’émail se fait à plus haute température, en oxydation ou en réduction, et provoque une vitrification intense dans la pâte céramique : le retrait de cuisson peut être important et il y a des risques de déformation. Le tesson obtenu est solide, opaque, non poreux, à cassure plutôt vitrifiée. On peut distinguer les grès tendres (vitrification, " grésage " vers 1100°- 1250°) et les grès durs (vitrification vers 1250°- 1350°). On fabrique en grès des carreaux, de la vaisselle, des pièces sanitaires.

 

          Le céramiste façonne la pâte en procédant par tournage, modelage ou moulage pour mettre en forme l'objet. Le tournage est une technique où le céramiste utilise un tour : un plateau effectuant un mouvement rotatif sur lequel est déposée une motte d'argile. La pièce prend forme entre les mains du potier grâce à la rotation. Par le modelage, l'artisan façonne tout simplement la terre entre ses mains en effectuant des pressions avec ses doigts. Le moulage, ou coulage, consiste à faire couler la terre, qui est pour cela liquide, dans un moule afin de lui donner l'apparence voulue. Le céramiste conçoit des oeuvres au gré de son imagination, car il est créatif. Minutie et habileté font aussi partie de ses qualités.

          Une fois la forme terminée, vient le séchage puis la cuisson. Le céramiste doit bien connaître les caractéristiques des matières qu'il utilise pour respecter la température et le temps de cuisson adaptés afin d'éviter les fissures et obtenir le résultat escompté. Certains objets sont destinés à être décorés. Après une première cuisson, le produit obtenu est le biscuit. On le décore alors à l'aide de différentes techniques.

          La pièce peut aussi être émaillée avant ou après la décoration. Les dessins et peintures se font en effet soit sur émail, comme la porcelaine, soit sous émail, comme la faïence. L'émaillage consiste à déposer une couche vitreuse, transparente ou opaque, sur l'objet pour le colorer, lui donner de l'éclat ou simplement le protéger.

          Voyant les effets naturels sur les pièces cuites dans leur four à bois, certains potiers japonais du VIIIe au XVIe siècle, ont cherché à uniformiser leur couverte. En récupérant les cendres végétales venant de leurs foyers (cuisine et chauffage), ils ont fait de nombreux essais en les filtrant, puis les lavant et en les mélangeant avec des oxydes, de la silice ou des feldspaths. Selon les essences de bois, les cendres produisent des teintes plus ou moins brunes, plus ou moins claires, par exemple les cendres de paille de riz permettent une couverte blanc laiteux célèbre sur les grès de Hagi, alors que les cendres de chênes peuvent donner des couleurs brunes à beige (selon cuisson oxydante ou réductrice). Les cendres de pins sont très recherchées car elles permettent parfois d'obtenir de belles couleurs vertes, parce que certains bois sont plus riches en tel ou tel oxyde, la formulation chimique (masse molaire) n'est pas toujours évidente à mettre au point. Mais il subsiste tout de même un côté aléatoire, les résultats étant parfois très différents. Parties de résultats accidentels, ces couvertes sont devenues très recherchées principalement pour les objets de la cérémonie du thé. Mais il n'y a pas que ces effets de cendres qui sont recherchés, l'asymétrie, les changements de couleurs sur une même pièce le sont également. 

          Dans ces recherches d'effets spéciaux, la technique du raku est un autre procédé de cuisson. Les pièces incandescentes peuvent être enfumées, trempées dans l'eau, brûlées ou laissées à l'air libre. Elles subissent un choc thermique important et, dans tous les cas, expriment sous ces contraintes l'histoire de la terre, du feu et de l'eau. Cette technique de fabrication en cuisson rapide, fut découverte en Corée puis développée au Japon dans le milieu du XVIe siècle. Le mot "raku" vient d'un idéogramme gravé sur un sceau d'or qui fut offert en 1598 par Taiko, maître servant de la cérémonie du thé, au Coréen Chōjiro. L'implication des potiers dans le raku fait souvent écho à sa philosophie, à ses racines et à son sens culturel. La multitude des paramètres mis en jeu permet d'obtenir des résultats variant à l'infini, ce qui confère à la pièce, entièrement réalisée manuellement, la qualité d'objet unique.

 

          Ainsi, l’argile et l’homme vivent-ils, depuis les temps les plus reculés, une longue histoire passionnante et passionnée. Pendant tout le XXe siècle, les artistes les plus réputés se sont adonnées à la céramique : Parmi eux, Jean Cocteau, par exemple, qui réalisera plus de trois cents œuvres, écrit en 1958 : "Avec la poterie… on ne songe qu'à réussir sa besogne et l'orgueil d'auteur n'y entre plus que dans la mesure où le boulanger se félicite d'avoir sorti un bon pain du four. Mes amis… m'aident à modeler et décorer (tatouer serait plus exact) la terre". Il insiste sur ses expériences qui l'éloignent des affres angoissantes de l'écriture. Ce sont ses mains, "fidèle main-d'œuvre au service de (son) coeur" qui parlent maintenant. Quant à Picasso, sa pratique est peu orthodoxe. Il façonne dans la glaise, faunes et nymphes, coule la terre comme on le fait du bronze, décore inlassablement plats et assiettes de ses thèmes favoris (corrida, femme, chouette, chèvre…), utilise les supports les plus imprévus (fragments de pignates, cazettes, matériel d’enfournement ou briques cassées), invente les pâtes blanches qui sont des céramiques non émaillées décorées d’éléments en relief. La céramique n’est nullement pour Picasso un art mineur. Il réalise en vingt ans plus de 4000 œuvres, et déclare à Malraux : "j’ai fait des assiettes, on peut manger dedans".

Jeanine RIVAIS

Ces quelques explications qui ne sont que la millième partie de celles proposées au lecteur, sont tirées d'articles très documentés, parus sur Internet, notamment de textes de Jimmy Wales, créateur de Wikipédia. 

 

2016 SEPTEMBRE 

INVITATION EXCEPTIONNELLE DE POTIERS

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PARTICIPATIONS DES EXPOSANTS SEULEMENT RAPPELEES

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BANNE 2017

NAISSANCE DE FESTIVALS MARGINAUX

17 ans et 29 festivals 

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     Fin du XXe siècle, de nouvelles tendances artistiques qui comprennent peintures, sculptures, écritures, collages, etc. naissent, sans être jamais incluses dans l’Art dit contemporain. Pourquoi cet ostracisme ? C’est tout simplement que, produites par des créateurs dont la plus grande partie étaient des autodidactes, elles n’ont jamais bénéficié d’aucune officialité. La réputation grandissante de ces œuvres a été le fait de personnes curieuses agissant individuellement ; plus récemment de musées créés par quelques-unes d’entre elle, exclusivement consacrés à ces créations marginales ; et de revues artisanales appelées "fanzines" qui en sont devenues la mémoire.

          L'Art brut et l'Art singulier, désormais muséifiés commencent leur montée vers des publics proches de l'"Homme du commun". Leur reconnaissance va grandissant. Désormais, de nombreux artistes qui ne sont pas des malades mentaux, s'en revendiquent. 

 

     Et voilà qu'en 1990, l'une d'entre eux, Danielle Jacqui "Celle qui peint", soucieuse d'aider des artistes en mal de lieux d'exposition, décide de créer un "Festival d'Art singulier" biennal, qui se déroulera en divers lieux de Roquevaire. L'aventure est en marche. Qui va faire des émules ! 

 

          En 1994, Louis Chabaud, décide de créer un second festival à Praz-sur-Arly, et obtient de Caroline Bourbonnais -laquelle anime la Fabuloserie créée avec son mari, Alain Bourbonnais- l'autorisation d'intituler son festival "Festival Hors-les-normes". Fort de l'implication de bénévoles et de la participation de nombreux Pralins, le festival durera jusqu'en 2013. Date à laquelle les bénévoles ayant déménagé, le couple Chabaud décide d'arrêter le festival devenu biennal et de continuer annuellement une exposition qui ne serait plus forcément hors-les-normes.

 

      Ensuite, en 2000, Marthe Pellegrino, habitante de Banne, un petit village de caractère d'Ardèche du Sud et dont le mari, Jean-Claude Crégut est le maire, décide à son tour de se lancer dans l'aventure. Dénommée au départ, "Festival d'Art singulier", la manifestation deviendra 'Bann'Art, festival d'Art singulier, Art d'aujourd'hui", cette double dénomination impliquant que le festival se veut éclectique et accepte tant des marginaux que des artistes se revendiquant de l'Art contemporain. 

    La démarche ne sera pas facile, la majorité des autochtones ne se souciant pas du tout de ce festival qui va pourtant (ou à cause de cela) chaque année ramener dans leurs murs une cinquantaine, puis une centaine d'artistes. 

    Par contre, les postulants étant chaque année plus nombreux, Marthe Pellegrino décide que son festival deviendra bisannuel, voire trisannuel ! Un essai de l'élargir à deux villages voisins échouera d'une part, sera un succès de l'autre, mais le public habitué au seul village de Banne se fera rare et en 2016, le festival réintégrera les Ecuries, la Grotte du Roure, la Maison de la Cheminée et la Salle d'Art actuel. Banne aura repris les anciennes habitudes ! 

Juillet 2017 : Bann'Art fêtera son trentième festival. Des centaines d'artistes nationaux et internationaux auront jalonné son parcours. De magnifiques catalogues auront servi de relais et d'archives à cette aventure. 

 

          Ces trois démarches auront causé à leurs géniteurs, bien des soucis, mais aussi bien des bonheurs, et pour ceux qui ont dû arrêter, chacun sait quel crève-cœur aura été cette obligation. Ceci pour Danielle Jacqui, après les glorieuses années du festival transplanté à Aubagne (Ah ! la politique, que de déboires elle peut causer ! Et quand la censure s'en mêle pour ne rien dire des gens désireux de prendre du galon !...) et pour Les Chabaud (pour qui le combat a cessé faute de combattants). 

          Une chose est sûre, c'est que ces trois festivals, Banne surtout en raison de sa périodicité et de son endurance, ont servi de moteur à de nombreux autres. Moins grands, souvent. Moins conviviaux parfois. Suiveurs, évidemment. 

          Alors, qu’est-ce qui, en ce XXIe siècle, où la mouvance hors-les-normes avance désormais en rangs de plus en plus dispersés, où les subventions sont devenues pratiquement nulles mais la récupération galopante, génère encore une motivation suffisante pour animer un festival d’Art singulier ? Sans doute un intérêt depuis longtemps vivace, un brin de nostalgie, beaucoup de passion, et l’amour des artistes ? D'autres motivations, peut-être, mais il semble, en tout cas, que telles soient les raisons qui ont poussé Marthe Pellegrino, à s’investir de façon bénévole et, contre vents et marées investir son joli village perché à flanc de montagne ?

 

ET MOI, DANS CETTE AVENTURE, COMMENT EN SUIS-JE VENUE A FREQUENTER LE FESTIVAL DE BANNE ? 

          En 1988, lassée et insatisfaite de fréquenter des galeries d'Art contemporain qui, la plupart du temps, me laissaient sur ma faim ; ayant "changé de vie", je m'étais mise à fréquenter assidûment et à titre personnel, les réunions hebdomadaires organisées par Mirabelle Dors, sous le label de "Figuration Critique". Les artistes qui venaient à ces réunions pouvaient apporter des œuvres, des documents, et les présenter. Un jour, l'une d'entre eux avait apporté des photos de ses sculptures, tellement surprenantes, tellement chargées de psychologie que je lui avais demandé si je pouvais la rencontrer pour réaliser un entretien ? Et voilà que, sur sa table, je découvris une étrange revue, un fanzine en fait, qui ne parlait que d'artistes lourdement impliqués dans leurs créations, toutes plus psychologiques, voire psychanalytiques les unes que les autres. Enfin, après toutes ces années de manque, j'avais l'impression d'être "arrivée chez moi" ! 

 

          Ce fanzine, c'était le "Bulletin de l'Association les amis de François Ozenda", créé et animé par les Caire, Jean-Claude et Simone. Je venais de faire un long entretien avec Philippe Aïni qui, à ce moment-là était dans les plus noirs ennuis à cause de sa fresque réalisée dans l'église de Flines-les-Raches. Je le proposai aux Caire qui l'acceptèrent sans restriction. Ce fut le début de dix ans de coopération, et d'une amitié sans faille. Et quel ne fut pas mon chagrin, lorsqu'en 2004, ils décidèrent d'arrêter, après vingt-huit ans, la publication qui leur coûtait vraiment trop cher sur leur argent personnel.  

          Ainsi, de juin 1994 à septembre 2004 mois fatidique de sa disparition, presque tous mes textes et entretiens parurent-ils dans cette revue. Rétrospectivement, j'apprécie d'autant plus ma chance de pouvoir y retrouver ces textes que ceux que j'avais publiés sur mes divers sites sont tous tombés aux oubliettes (¹) 

          Il faut dire qu'ayant commencé à fréquenter les festivals marginaux, j'avais pris la décision soit d'écrire des textes sur les artistes que j'y rencontrais, soit de réaliser des entretiens avec eux. Ainsi, lors du festival de Praz 1995, le "Bulletin…" me publia-t-il quinze textes. Au fil des années, parurent ceux concernant les Jardiniers de la Mémoire de Bègles, les expositions temporaires du Musée de Zwolle (Hollande), du Créahm de Liège, tous les comptes-rendus de mes diverses rencontres, et à partir de février 2003 trente-huit textes sur les exposants de Banne, 2004 trente-six entretiens, etc. 

          Car le Bulletin…, c'étaient des parutions trimestrielles puis semestrielles relatant la vie des artistes, les expositions marginales, analysant certaines œuvres, commentant certains festivals… La mémoire en somme de plus d'un quart de siècle d'Art brut, hors-les-normes, singulier ! 

          Mais les Caire, c'étaient aussi des réunions annuelles des adhérents lors de l'Assemblée générale. Qui se déroulaient sous le magnifique sorbier de leur cour les années où le soleil était de la partie ; sinon dans la salle à manger. Après un bon repas, chacun pouvait présenter son travail de l'année, proposer des artistes jusque-là inconnus, discuter de tout ce qui constituait la vie marginale.

C'est là qu'en 2001, j'ai rencontré Marthe Pellegrino et Jean-Claude Crégut, fidèles eux aussi à ce "Bulletin… Ozenda". La discussion a porté naturellement sur le travail que j'avais ébauché concernant les artistes, et sur ce "festival de Banne" encore à ses balbutiements. L'idée et le côté aventure de cette entreprise m'ont plu, d'autant que je les avais côtoyés dans le même esprit à Praz. Et depuis lors, presque chaque année je me suis rendue à Banne, je m'y rends encore, d'abord en juillet lors d'un unique festival annuel, puis en mai en croisant chaque fois les doigts pour qu'il y fasse moins chaud ! Et s'il arrive qu'une année, il me soit impossible d'y aller, je ressens comme un sentiment de désertion, un manque du fait de n'être pas du tout là ! 

          Par ailleurs, le "Bulletin de l'Association Les amis de François Ozenda" disparu, il me fallait désespérément trouver un moyen de publier tous ces écrits. Après la liberté totale dont j'avais bénéficié de la part des Caire, je ne voulais à aucun prix dépendre d'un quelconque "rédacteur en chef", ni d'une revue qui me censurerait, tronquerait mes textes, et autres désagréments… Je créai donc un site entièrement consacré aux artistes. Et depuis lors, bien souvent, lorsque je me présente à l'un d'eux, je m'entends dire : "Ah mais je connais votre site ! Je le consulte souvent !". Ce qui est une belle récompense pour tout le temps que je lui consacre ! 

 

          Les années passant, nombre d'artistes revenaient à Banne la ou les années suivantes. Sauf dans le cas où leur œuvre aurait subi un total changement, il devenait impensable de publier chaque année un texte ou un entretien original. D'autant que le nombre de participants allait croissant, jusqu'à devenir exponentiel certaines années ! Je pris donc la décision de faire deux pages, l'une intitulée "La Page des anciens" dans laquelle je mettrais à côté d'une image nouvelle la référence permettant de retrouver le document originel. Et des "Pages des nouveaux", dans lesquelles apparaîtraient in extenso le texte ou l'entretien de l'année. Ainsi, des centaines de textes ou d'entretiens sont-ils venus se greffer sur mon premier site (http://jeaninerivais.fr), puis ont fait partie du second (http://jeaninerivais.jimdo.com/). 

          Pourquoi deux sites ? Parce que le premier avait été créé avec un logiciel qui, un beau jour ne fut plus commercialisé. Depuis lors, il reste accessible, mais je ne peux plus intervenir dessus. (Détail amusant, à trois reprises, des artistes m'ont contactée pour que je retire leur photo chapeautée. Ce qui m'a été impossible, et les voilà donc condamnés à figurer pour l'éternité avec le chapeau qu'ils avaient créé pour le vernissage !)

          Pourquoi des entretiens plutôt que des textes ? Un texte engage son seul auteur. Et s'il est passé complètement "à côté de la plaque", (ce qui, heureusement, ne m'est pratiquement jamais arrivé), l'artiste peut être consterné ! Par contre, un entretien est un échange entre l'interrogateur et l'interrogé. Et, si leurs points de vue divergent, il y a matière à discussion. Et puis, sur un plan pratique, un texte exige au moins une trentaine d'heures pour être mis en forme à mon goût ! Tandis que repiquer un entretien demande environ quatre heures, non compris le temps de mettre en forme les images et de placer le tout en ligne ! Et puis l'entretien est l'occasion d'un échange, tandis qu'un texte est un travail solitaire. 

 

LES DESTINEES DU FESTIVAL : 

          Il va de soi que les initiateurs du festival, Marthe et Jean-Claude Crégut ont porté au cours de ces dix-sept années, les destinées du festival de Banne. Les premières années, Jean-Claude Crégut étant maire du village, et farouchement "pour" le festival, les difficultés matérielles de l'organisation en trois lieux puis quatre étaient simplifiées. Et dans la mesure des moyens du budget municipal, une subvention annuelle permettait une certaine aisance dans la réalisation du catalogue.

        Mais lorsqu'en 2008, il décida de ne plus postuler au titre de maire, il devait se douter qu'il n'allait pas simplifier les choses. C'est qu'en effet, la nouvelle municipalité ne manifesta aucun empressement à continuer l'aide apportée au festival. Désormais, il fallut faire "sans" !

       Dans un beau texte publié dans le catalogue 2008, Jean-Claude Crégut raconte les prémices du festival, la création, puis l'évolution de cette manifestation : "Le catalogue 2008 sortira après les élections c’est donc mon dernier "mot du maire" que j’écris avec une certaine émotion, car à travers ce catalogue, reflet des XIe et XIIe festivals, c’est tout un cheminement et développement culturel que j’ai accompagné depuis les premières expositions, dans la salle du Roure, en 1990.

          A l’époque je découvrais le potentiel du site et il était évident qu’il se prêtait parfaitement à des expositions d’arts plastiques. J’en parlai à Marthe et lui proposai d’occuper les lieux endormis. Son action dépassa mes espérances. Grâce à son énergie, son dynamisme et sa volonté, un grand nombre d’expositions se sont inscrites d’abord dans la salle du Roure puis aux écuries et dans la maison de la cheminée, voire la salle des fêtes et même l’église, occupant tout l’espace couvert disponible. 

          Un peu mégalomane elle a même réalisé un festival d’artisanat d’art qui connut plusieurs années durant une belle renommée, des concerts en tout genre, des représentations théâtrales, conférences, diaporamas…. Difficile d’être sur tous les fronts. Aussi maintenant, ne s’occupe-t-elle plus que de la réalisation du "Festival d’Art Singulier, Art d’aujourd’hui" qui est vite devenu bisannuel et la maison un véritable capharnaüm. Ce festival est devenu un évènement reconnu d’importance nationale dans le monde des arts plastiques, le premier par la renommée.

         Cette année le centre d’art actuel ouvre ses portes, offrant un espace accueillant et bien équipé, permettant des expositions à thème sur une plus longue période avec une orientation pédagogique pour les élèves de l’école primaire et du collège.

          Fondamentalement, ce festival nous renvoie à ce besoin immense d’ouverture, d’échange et de partage qui est une des fonctions essentielles du label "village de caractère" ainsi que la fonction de l’artiste comme créateur de signes, d’idées, d’utopie, d’imaginaire.

          Dans la société du clinquant, de l’apparence, de la déshumanisation accélérée, le catalogue nous montre qu’il nous reste l’imaginaire pour résister et que le Festival d’Art Singulier est un refuge pour organiser cette résistance en nous recentrant sur l’humain : émotion, sentiment, intuition, imagination, intelligence, liberté.

          Pour Banne c’est une chance et un formidable levier de développement, qui mérite l’attention et le soutien de tous". Jean-Claude CREGUT

 

          Il faut également parler de l'importance de ces "hordes" d'artistes déferlant deux fois par an dans les ruelles de Banne ! S'attarder sur la façon dont leurs œuvres achevées, ils manifestent leur désir de prendre à témoin le visiteur de la richesse de leur imaginaire ! Du grand don de soi que représentent leurs créations ! 

          Et puis, se retrouvant côte à côte en un même lieu, leur rencontre ne s’articule-t-elle pas autour d’un désir commun de parler de leur sentiment d’évasion dans la création ; de la perte de soi et du témoignage de cette perte ; de la façon de se retrouver au bout du rêve éveillé, concrétisé et confié au regard des autres créateurs ? 

Et n’est-ce pas, pour eux, chaque fois, une obligation de se remettre en cause, que ces "regards" croisés tellement différents ; ces patchworks d'expressions constructives, proposés au gré de ces rencontres si particulières ; ces talents qui s’illustrent à travers les questionnements profonds de leurs vies fantasmées ; ces interrogations sur la sincérité, l’authenticité de leur œuvre, à partir de leur moi profond étalé aux yeux de tous ; ces face-à-face fantasmagoriques, comme autant de façons de lutter contre la peur et la mort ! 

Depuis bientôt deux décennies, les artistes qui se succèdent au Festival de Banne, à l’invitation de Marthe Pellegrino, ne sont-ils pas, pour la plupart, les illustrations complexes et vivantes de tous ces questionnements ? Et leur grand nombre n'est-il pas le moyen de déverser chaque année leur trop-plein de bouffées délirantes, de plénitudes apaisantes, de cassures tourmentées, de voyages intérieurs protéiformes ? Leur joyeux méli-mélo de représentations de mondes intérieurs, psychiques ou quotidiens ; d’univers traversés de couleurs chatoyantes et chaudes, ponctués d'humour ou de mal-être, jouant parfois avec les mots comme pour illustrer la peinture tout en la prolongeant…

 

         Au fil des années, d'ailleurs, certains artistes sont devenus de véritables "habitués", reprenant chaque printemps, chaque été, voire deux fois par an, le chemin de Banne ! Leur assiduité ne peut tout de même pas s'expliquer par le seul désir à tout prix de vendre leurs œuvres ! Il vaut mieux penser que le plaisir de retrouver d'autres créateurs devenus des amis, des visiteurs qui, comme eux, viennent et reviennent, explique leur omniprésence ! 

 

 

LE CATALOGUE : 

    Jean-Claude Crégut a raconté dans son texte de 2008, combien le catalogue était symboliquement important pour le festival. 

    Bien que certains artistes récriminent à l'acheter, malgré le prix modeste, sous prétexte que les exemplaires vont s'entasser dans un placard, nombreux sont ceux qui en ont compris l'importance. J'ajouterai qu'il est bien dommage que les réticents n'aient pas le sentiment de la beauté de cet objet. En plus de sa valeur d'archive, de mémoire. Mais tous expriment à peu près la même réserve : le regret que certaines années, trop de place soit réservée à certains artistes ; d'autres fois que les thèmes développés ne les intéressent pas (Ethiopie, Cuisine, etc.). Tous préféraient le temps où, après les préfaces évoquées ci-dessous, chaque artiste avait sa page. Point final.  

    Dès la première année, en effet, Marthe Pellegrino a publié un beau catalogue glacé, portant des textes de gens qui se préoccupaient de l'Art singulier (ses préfaces, celles de Jean-Claude Crégut, de Jean-Claude Caire, Pierre Souchaud, et moi aussi presque régulièrement, etc.). Consacrant à chaque artiste –sauf les années de restrictions budgétaires- une page entière avec une ou plusieurs images d'œuvres, accompagnées d'un texte. 

    Et puis, le parcours n'ayant pas été uniquement jalonné de belles histoires, le catalogue témoigne aussi de l'hommage rendu à ceux qui nous ont quittés. A chacun d'eux, un dossier a été consacré, rappelant la place qu'il avait tenue dans le parcours de Bann'Art. Et le regret qu'il n'en soit plus.

 

LE VILLAGE ET LES LIEUX : 

          Comme je l'ai dit plus haut, le fait que Jean-Claude Crégut ait, en 2008 renoncé à sa fonction de Maire, n'a pas simplifié la vie du festival. 

          La nouvelle municipalité n'a fait aucun effort pour témoigner d'un quelconque intérêt. Il a fallu en fait toute l'énergie indéfectible de Marthe Pellegrino pour conserver les lieux d'exposition ; gérer les documents écrits et les problèmes matériels notamment permettre aux artistes de se garer le plus confortablement possible, etc. etc. La salle de réunions de la mairie qui, certaines années, avait servi de lieu d'exposition, devenait dès lors lieu interdit ! Pour ne rien dire de l'église :  utilisée une fois, les conséquences en ont été une vraie levée de crucifix ! 

        Et les autochtones ? On en voit bien peu visiter le festival. Leur présence se manifeste surtout sous forme de déplaisir : Que les artistes n'envahissent surtout pas la Place de la Fontaine, parce qu'on ne peut plus jouer aux boules. Mais qu'ils ne stationnent pas non plus sur le parvis des Ecuries parce qu'ils gênent ! Impossible de lancer les gros travaux sur la voierie à un autre moment que celui du festival !… 

      Combien de fois le nouvel édile et ses conseillers sont-ils venus au vernissage (²) ? Ou même simplement rendre visite aux artistes ? Il y a trop de doigts à une main pour les compter ! 

  Quant aux quatre lieux, mise à part la Salle d'Art actuel qui date de la municipalité Crégut, et qui est prévue pour des expositions, les autres lieux n'ont jamais été moindrement modernisés ! Pas ou peu d'électricité ; et le toit des Ecuries fuit comme une fontaine au moindre orage ! Et pourtant, ces lieux chargés d'histoire -l'histoire de ce village de caractère- pourraient être idylliques pour des artistes ! 

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ceux-ci savent qu'il leur faut prévoir jusqu'au plus petit clou pour présenter leurs œuvres. Et il est devenu de tradition de porter une doudoune dans les écuries et la Grotte, de grosses chaussures dans la Salle humide du Roure… Et Marthe Pellegrino sait que les dessinateurs n'exposeront jamais là-bas ! 

Malgré tous ces inconvénients, le spectacle de ces multiples stands colorés, tous différents sans hiatus, est à chaque manifestation une véritable fête.

 

LE FESTIVAL. LE VERNISSAGE :

          Les postulants étant chaque année très nombreux, les consignes de la Présidente figurent en fait sur le Net d'un festival à celui de l'année suivante. 

        Comment expliquer une telle surabondance de candidats, alors que le bouche-à-oreille fait que chacun est averti des conditions précaires des installations ? 

          Le fait peut-être, qu'ayant tenu contre vents et marées pendant dix-sept années, le festival ait acquis une solide réputation ? 

   Le caractère protéiforme des œuvres exposées ? 

        Le fait que, par sa double dénomination, il ne soit pas capital de se revendiquer de la mouvance marginale ? 

        Le fait que le prix de l'inscription ne soit pas prohibitif ? 

    D'autres raisons, peut-être, parlant d'amitiés et de rencontres ?

 

          Une année, Marthe Pellegrino conçut l'idée que, pour rendre le vernissage moins traditionnel, plus pittoresque, il serait approprié de présenter chaque exposant chapeauté sur l'estrade des Ecuries. Et, depuis lors, elle-même montrant l'exemple avec beaucoup de décorum et de diversité, la plupart des artistes jouent le jeu et font preuve d'imagination débordante ! Le plus drôle est que certains ne réalisent pas que d'une œuvre faire un chapeau n'est pas une garantie d'équilibre sur la tête ! Ce qui donne parfois lieu à des contorsions inattendues et des rééquilibrages de dernière seconde ! Et il faut rendre un hommage particulier à Joël Bast qui, en 2016, s'est présenté avec une "Présence" qui était si bien devenue son alter ego qu'il était difficile de discerner le vivant de la figure! 

 

L'AMBIANCE. LES REPAS : 

          Il y eut bien, parfois, des moments difficiles entre la Présidente et certains artistes ! Mais il faut croire que ni l'une ni les autres ne sont rancuniers, vu le grand pourcentage de  retours et re-retours… Mais bon an mal an, l'ambiance reste au beau fixe, et surtout la convivialité entre les artistes ne se dément pas ! 

         Pendant plusieurs années, Marthe Pellegrino prenait préalablement au festival, le temps de préparer des repas pour les artistes. Menus variés et copieux. A des prix modiques. Mais peu à peu, les finances manquant, et la fatigue croissant, ces repas connurent des portions congrues, et un jour, le combat cessa, faute de combattants.

          Et c'est bien dommage, car ces quelques heures de retrouvailles de tous les artistes étaient de grands moments de rencontre, d'abord, permettant à chacun de connaître tout le monde, quel que soit le lieu où l'on exposait. Et puis, c'étaient généralement des temps de franche rigolade !  

 

 

MON ROLE ET MON SENTIMENT : 

          Je ne peux qu'admirer la constance du couple Crégut-Pellegrino, face aux difficultés que peuvent impliquer l'organisation et la répétition annuelle, bis-tris-annuelle d'une manifestation aussi importante dans des conditions souvent précaires. Car, là où leurs amis ont dû s'incliner face aux pressions négatives, ils se sont obstinés, ont tenu bon ; tiennent encore et toujours bon ! Partageant chaque fois  à l’infini les regrets, les joies, les intimités de personnes venues de tous les coins de France ; choisissant chaque année de nouveaux thèmes qui relient leurs manifestations à des problèmes du monde ; tissant un lien entre les petites et la grande histoire. 

         Quant à moi, sans avoir la grosse tête, je crois pouvoir affirmer que, année après année, j'ai joué un rôle important dans la reconnaissance de Bann'Art ? Ces centaines de textes et d'entretiens voyagent à travers l'Hexagone, voire plus loin ; sont souvent une sorte de carte de visite pour les artistes, et d'affirmation que le festival a toujours bon pied bon œil. Et si l'intendance incontournable pour deux personnes (car Michel Smolec est bien sûr de toutes les aventures) est parfois lourde à porter… qu'importe, je répète à l'envi, "L'Art singulier, c'est ma danseuse" ! 

          Car, inversement, mes rencontres avec ces multitudes de créateurs ont été pour moi depuis le début, génératrices de plaisirs, de richesse intellectuelle, d'amitiés souvent, de chagrins aussi, pour ceux que je ne reverrai plus ; et il faut le dire, de notoriété. Et puis, certaines créations me touchent si profondément que, chaque fois, j'ai le sentiment de repartir émue et ravie à la fois ! 

          C'est pourquoi j'aurais vraiment beaucoup de peine si un jour Marthe et Jean-Claude, parvenus au bout du rouleau, décidaient d'arrêter le festival ! C'est pourquoi aussi, je tanne Marthe depuis deux ans (comme je l'avais fait pour les Caire et leur Bulletin…) pour qu'elle continue le catalogue. Malheureusement, si le festival semble avoir encore de belles années devant lui, il se pourrait bien que le catalogue de 2017 soit le dernier de cette belle aventure ! In memoriam ! 

Jeanine RIVAIS

(¹) Ces sites étaient alors souvent proposés aux clients par leur banque, ce qui était mon cas et sont disparus avec le développement de sites plus volumineux. ! Il faut dire que l'Internet n'était pas alors ce qu'il est devenu où il semble qu'un texte paru le soit pour toujours !

(²) Tout de même, au fil des années, le Maire et ses édiles ont trouvé le chemin du festival, et leur bonne volonté est allée croissant ! 

 

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