« VOYAGES » IMAGINAIRES DE JABER

***** 

Jaber que découvrit fortuitement Cérès Franco lorsqu’elle avait sa galerie de l’œil-de-Bœuf. Jaber qui désormais se répand dans tout Paris, sur le parvis de Beaubourg dont il se dit le Roi, dans les galeries, les librairies, les musées… Jaber et son travail primitif, très coloré dans des tons monochromes appliqués à larges coups de la brosse ou de la main ; jetés spontanément sur la toile ou le papier.

Depuis bien des années, se retrouve ainsi le même petit bonhomme à la tête de profil taillée à l’emporte-pièce, avec son grand œil naïf, son nez en trompette et son air mutin de poulbot qui explore son territoire ; le même oiseau perché dans le même arbre, près de la même maison ; parmi l’herbe et les fleurs à profusion. Et, sans doute parce que l’artiste voyage beaucoup mentalement, sont écrites en grosses lettres, comme autant d’étapes de ces itinéraires fantaisistes, des noms de personnes, de villes ou de pays : JAKLANG PARIS ALLEMAGNE AUVERGNE, sans oublier la signature JABER qui entre dans la composition du tableau et peut aussi bien décorer la coque d’un bateau à voile qu’orner le poitrail d’une biche. Et des dates, généralement deux, sans que l’on puisse dire s’il s’agit de la date de réalisation (assez invraisemblable) du tableau ou de celle à laquelle s’est « déroulé » le voyage « évoqué », ou simplement celle qui lui est passée par la tête à cet instant-là ? 

Parfois, Jaber décide de « raconter » une histoire : Et ce sont alors sur un même plan (puisque, comme la plupart des autodidactes naïfs, il ignore la perspective) le Radeau de la Méduse, Don Quichotte/Jonas chevauchant à dos de cheval/Baleine ; le Petit Chaperon Rouge offrant sa galette au Loup ; un incident sur le Tour de France… ou une course éperdue dans une voiture à tête d’animal à l’énorme gueule ornée de terribles crocs et d’une interminable langue rouge, etc. Cependant que, par intermittence, une chéchia, une djellaba ou des babouches, rappellent les origines tunisiennes de l’artiste…

Mais d’autres fois, il « devient » photographe et réalise des portraits pris en buste comme les photos d’identité : Il sont féminins, bien sûr. Eux, sont de face, et les opulentes chevelures brunes et frisées encadrent des visages aux gros yeux, qui donnent aux personnages ainsi « représentés », un air vaguement ironique !

Parallèlement à cette saga très imaginative et répétitive, Jaber réalise une multitude de petites sculptures en papier encollé (les mêmes personnages que les peintures) ; têtes humaines, figures emblématiques ne comportant que la tête en équilibre sur le cou, reconnaissables à l’infini parce qu’il en a créé des… milliers ? des centaines à tout le moins ! Et que son nom y figure en caractères énormes par rapport à la dimension de l’objet !

Sans doute, comme tout un chacun, Jaber connaît-il des moments difficiles ? Mais son œuvre n’est qu’un grand éclat de bonne humeur, si simple et rayonnante, si bon enfant, si sympathique, si pleine d’humour, qu’elle semble mettre au défi le spectateur ou plutôt l’inviter à venir… dans le pré avec lui, pour y trouver le bonheur !

JEANINE RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ENCRIT EN 2000 DANS LE CADRE DU FESTIVAL "ART ET DECHIRURE" DE ROUEN ET PUBLIE DANS LE N° 72 TOME 1 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.