François Monchatre interviewé par Jeanine Rivais sous l'oeui vigilant de Frédéric Christiansson et Didier Bénesteau ph. M. Smolec
François Monchatre interviewé par Jeanine Rivais sous l'oeui vigilant de Frédéric Christiansson et Didier Bénesteau ph. M. Smolec

          Jeanine Rivais : François Monchâtre, je suis vraiment heureuse que nous puissions aujourd'hui réaliser un entretien, dans cette belle collégiale !

Vous êtes né en 1928, vous étiez donc adolescent pendant la guerre. Où et comment viviez-vous cette période ?

          François Monchâtre : Au début, je ne me préoccupais pas de la guerre. Je me disais : "Je m'en fous, ce n'est pas mon affaire !". Mais un jour, j'ai vu un véhicule allemand. Il y en avait un qui portait un képi français. Et puis, j'ai réalisé, j'ai vu qu'il y avait du sang dedans. Alors, je suis devenu un résistant.

 

François Monchâtre (Collégiale de Loudun. Ph. Tambour Battant
François Monchâtre (Collégiale de Loudun. Ph. Tambour Battant

          J.R. : Aviez-vous déjà l'envie d'être artiste ? Que faisiez-vous ?

          F.M. : Non, je ne pensais pas à être artiste. J'avais envie de travailler !

       Pour ce qui est de la création, je connaissais un artiste, André Bauchant. Il habitait Château-Renault. J'allais le voir de temps en temps. Il était assez accueillant. Il créait toujours des choses d'imagination et peignait des personnages un peu raides sur des toiles. Mais les artistes que je fréquentais n’étaient pas regroupés en école, chacun peignait comme il le sentait.

 

      J.R. : Quand vous avez vraiment commencé à créer, faisiez-vous déjà de la sculpture ? Ou de la peinture ? Que sculptiez-vous ? Que peigniez-vous ?

       F.M. : Ce que j'aurais voulu faire, c'étaient toujours des choses d'imagination. Mon idéal, c'était de pouvoir commencer quelque chose. Mais quoi ? Je ne savais pas ! J’ai commencé par dessiner avec des craies et peindre sur des matériaux que je trouvais. Et ensuite, j’ai essayé de fabriquer des personnages qui ressemblaient à des personnes, des assemblages assez maladroits…

 

          J.R. : Au cours des années 70, vous réalisez des "Automaboules" ! Qu'est-ce qu'une automaboule ? Qu'un OPNI (Objets Peints non Identifiés) ? Qu'une germanopratine ? Ces noms vous sont-ils venus une fois les machines créées ? Ou l'inverse ?

          F.M. : Automaboule, le mot principal dans le titre c’est maboul. C’est dingue une voiture ! OPNI : ce n’est pas une construction classique. Une germanopratine, c'était une femme avec un uniforme allemand. Les noms sont dans ma tête avant de réaliser les machines.

Une automaboule. Une germanopratine. Un OPNI (Objet peint non identifié). Ph. JC Launay
Une automaboule. Une germanopratine. Un OPNI (Objet peint non identifié). Ph. JC Launay

          J.R. : Comment les représentiez-vous ?

          F.M. : C'était une femme qui était jeune. Et jolie ! Je lui faisais un beau corps dans une attitude raide.

 

Peinture. Ph. M. Smolec
Peinture. Ph. M. Smolec

          J.R. : Mais vous étiez jeune et beau à ce moment-là !

          Vous commenciez pourtant à être connu dans les milieux de l'Art singulier. Nombreux sont ceux qui ont essayé de vous caser dans une catégorie ! Vous-même avez dessiné beaucoup de cases ! Quelqu'un serait-il parvenu à vous mettre dans une case qui vous conviendrait ?

          F.M. : Quand j'ai vu que la guerre n'était pas une chose facile, j'ai beaucoup réfléchi, mais je n'étais pas quelqu'un d'équilibré. Je voyais beaucoup de choses qui me tentaient. J'envisageais plutôt de devenir fabricant de boîtes. J'ai fait beaucoup de choses inutiles !

 

          J.R. : Oui, mais qui nous charment, maintenant !

             F.M. : Je regardais des choses, mais je déconnais ! J'ai rencontré quelqu'un, Monsieur L. Mais il racontait des choses qu’il enjolivait. Et sa femme le surveillait parce qu'il perdait un tas de trucs, notamment sa mémoire. Je travaillais dans un petit pays. Les gens parlaient beaucoup et étaient jaloux de ce monsieur qui avait travaillé à Paris !

 

Peinture. Ph. Tambour Battant
Peinture. Ph. Tambour Battant

          J.R. : A quel moment créez-vous vos "peintures bavardes" ? Comment vous est venue l'envie de peindre ?

        Comment vous est venu votre personnage principal, le Crétin ? Et comment situez-vous votre Crétin dans vos peintures ?

          F.M. : Mes peintures, c'étaient les gens que je fréquentais.

        Oui, je les peignais. Mais quand je n'avais plus rien à peindre, je devenais fou ! Je n'avais rien à peindre, alors j'allais faire un tour chez ce couple, M. et Mme L. Je les embêtais pendant une journée. La femme se mettait en colère parce que j'amenais le trouble dans le ménage. Elle houspillait son mari pour qu'il reprenne le travail !

          La vie que je menais, les gens que je fréquentais, faisaient parler les gens du village.

 

         J.R. : Vos œuvres me semblent intemporelles, pleines d'humour, mais aussi de férocité : N'y a-t-il pas un paradoxe entre ces sentiments et le fait de déclarer que ce sont des "machines à rêver" ?

          F.M. : Quand je voyais des gens qui peignaient, c'était toujours des pots de fleurs. Moi, je ne peignais pas des choses comme ça, alors je n'étais pas coté. Mais ce que je peignais me faisait rêver.

 

Peinture. Ph. Tambour battant
Peinture. Ph. Tambour battant

          J.R. : Votre ami et mécène Didier Bénesteau vous a organisé, en compagnie de votre ami Pauzié qui, lui non plus, ne manque pas d'humour, une très belle exposition à la Collégiale de Loudun. Quand et comment l'avez-vous rencontré ? Et comment définissez-vous le chemin que vous avez parcouru ensemble ?

          F.M. : Sans le savoir. Comme ça !

        Je suis allé à Paris. C'était l'époque du Surréalisme. J'aimais bien certaines choses du Surréalisme, mais c'était un monde où j'étais inutile. J'aurais bien voulu faire du Surréalisme, mais je n'étais pas compétent, et je ne pouvais pas fréquenter ces peintres. Et souvent je les trouvais d'une mesquinerie ! Alors, j'étais bien content de n'être pas comme eux !

 

          J.R. : Alors, Alain Pauzié et vous ?

          F.M. : Lui, il travaillait ! Moi, j'étais trop jeune pour faire du Surréalisme ! J'étais comme sur un vélo à deux roues avec lequel j'aurais roulé à plat ! Mais nous avons exposé ensemble au Musée d’Art Moderne de Paris en 1972. Et j’admire beaucoup son travail.

 

Peinture. Ph. Tambour Battant
Peinture. Ph. Tambour Battant

          J.R. : Les Crétins vous revenant, les "Bons à rien" de l'exposition reviennent à Alain Pauzié. Est-ce jubilatoire de représenter ainsi à vous deux ce qui peut sembler être les personnages les plus bêtes de la société ?

          F.M. : Quand j'exposais quelque chose, je n'avais pas beaucoup de visiteurs.

          J'étais le fils du notaire ! Mais je n'étais pas sérieux. Je fréquentais plutôt le serrurier parce qu'il avait des machines ! Des marteaux avec lesquels je pouvais taper. Et je tapais ! Mais maintenant, je me sens un peu respecté dans le milieu artistique.

 

       J.R. : Dans votre actuel lieu de vie, continuez-vous à sculpter ou peindre vos incroyables machines et vos sombres crétins ? L'âge venant, regardez-vous toujours le monde avec le même œil féroce ?

          F.M. : Je ne sculpte pas, je bricole ! Et j’espère que notre monde ne va pas à la catastrophe !

 

        J.R. : Mais que "bricolez"-vous ? Parce que les "bricoles" qui sont actuellement dans la Collégiale, elles nous charment !

          F.M. : Mais j'essaie de voir certains artistes qui font des bricoles. Ils me font plaisir. Ils me donnent de l'action. J'aime ces gens-là, parce que moi je suis un peu épuré. Je vis dans une sphère dans une direction. Je trouve qu'il faut aller jusqu'au bout d'une idée. Autrefois, je commençais parfois une chose et je ne la terminais pas ! Finalement, j'aime mieux les artisans que les artistes, parce qu'eux, ils vont jusqu'au bout !

 

Peinture. Ph. Tambour Battant
Peinture. Ph. Tambour Battant

          J.R. : Je voulais reprendre avec vous la dernière question. Mais je vois qu'à 94 ans, vous avez toujours l'esprit aussi vif et aussi féroce !

          F.M. : Mes travaux ne faisaient pas partie du disque à envoyer à la Kommandantur ! Beaucoup d'artistes que je connaissais et qui faisaient de l'Art populaire, étaient géniaux. Je n'ai jamais été officiel, mais j'aurais voulu l'être ! Puis j'ai compris que je ne le serais jamais, et je me suis dit que c'était bien fait pour moi, que je n'avais pas besoin de ça. Les applaudissements, c'est faux. Car, même s'ils applaudissent, les gens vous laissent tomber ! Alors, je dis : Liberté ! Liberté ! Liberté ! C'est tout ! Etre applaudi, c'est dangereux. Il ne faut pas faire la même chose que tout le monde. Je suis Monchâtre. Mes désirs, mes objectifs commencent à se tasser.

          Maintenant, j'ai assez travaillé !

Caméra avec plusieurs éléments mobiles. Ph. M. Smolec
Caméra avec plusieurs éléments mobiles. Ph. M. Smolec

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LE 8 SEPTEMBRE 2022 A LA COLLEGIALE DE LOUDUN (Vienne)

Et complété par des propos de François MONCHÂTRE, le 3 octobre 2022.