LA RUSSIE SINGULIERE DE SOLOMON ROSSINE, peintre.

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Un veston
Un veston

Pendant les décennies où fleurissait en URSS le Réalisme socialiste, Solomon Rossine peignait sa Russie personnelle, originale, qu'il a apportée dans ses bagages, lorsqu’il a coupé ses racines pour venir vivre en Bretagne.

Alionouchev
Alionouchev

Depuis son arrivée, son oeuvre a évolué : Bilan des violences mentales vécues pendant les années précédentes ? Détente apportée par le nouveau contexte ? Besoin de saisir à bras-le-corps Impressionnisme, Expressionnisme… qu'il a longtemps côtoyés ; les mêler, en une ligne unique où ne subsisteraient que les contrastes ? : Pâtes épaisses ou vibrations de la toile à nu, lourds traits noirs, grands aplats ou passages nerveusement striés… de toutes ses œuvres se dégagent une infinie tendresse, un humour féroce à l'égard de ce petit peuple russe dont il exprime les souffrances, les joies, les qualités, les vices, la soumission aux religions ou aux tabous. Une sincérité absolue émane de cette peinture définie par Solomon Rossine comme "la vérité de tranchée". Et même entraîné au bord des grands courants picturaux, même tenaillé par des influences politiques qu'il récusait, même rasséréné par un entourage amical, l'artiste est resté et demeure vigilant, sait prendre assez de recul pour n'être jamais "classable".

La rue
La rue

De trente-cinq années de travail, outre la présence latente de la mort, quelques constantes apparaissent dans l'oeuvre de Solomon Rossine : la paillardise, la grivoiserie populaires pour lesquelles il ne fait pas dans la dentelle : "Le satyre malheureux" (nu en train de fantasmer), "Le trouble du gardien" (léché par une chèvre), "Le songe de la boiteuse" (rêvant de satyres et de boucs diaboliques) attestent de la verdeur, la crudité d'une sexualité refoulée, la toute puissance des tabous. Sa peinture évocatrice est proche de la littérature populiste du XIXe siècle, sa poésie descriptive de Gogol, Tolstoï ou Tchekhov. Parallèlement, il pratique à haute dose la dérision et l'irrévérence à l'égard de la culture : Peint en contre-plongée, "Le Portrait de Tchekhov" ne montre que des jambes démesurées et un costume de bagnard ; "la Cerisaie présente une jeune fille en train de lutiner...un minotaure, etc. Faut-il alors croire le peintre lorsqu'il affirme que ses titres sont des métaphores poétiques, insiste sur leur côté aléatoire, sur le fait qu'un titre comme "La Cerisaie" peut naître d'une brève lueur d'une allumette éclairant une cave ? Ne peut-on plutôt y voir une preuve supplémentaire de la violence provocatrice qui l'amène à créer une série de quatorze toiles sur "la Bataille de Borodino" (défaite russe) ; à ne montrer de la guerre que la gravité, la tristesse, la dérisoire grandeur des chefs, la non moins dérisoire victoire de "l'âme russe" sur le génie de Napoléon ?

Une promenade
Une promenade

Une fresque impressionnante qui corrobore l'intransigeance de Solomon Rossine : du fond de la Bretagne où il côtoie pourtant de nouveaux mythes, il perpétue les siens avec autant de virulence qu'au temps où, dans l’Immense Union Soviétique, Il oeuvrait à contre-courant des idéologies.

                                                                  Jeanine Rivais.    

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1994.