"PETITS RIENS" ET GRANDES EMOTIONS ou VERONIQUE LAFONT, peintre

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"Le temps s'en va, le temps s'en va, Ma Dame

Las, le temps non, mais nous nous en allons" . (Ronsard)

Véronique Lafont a si bien le sentiment de cette impossibilité où se trouve l'homme de vivre autrement que dans l'éphémère, qu'elle le représente, consciemment ou non, dans tous ses tableaux ! Au point que, pendant une période où elle avait pensé s'en libérer et créer des oeuvres abstraites, un visage surgissait en transparence dans "Epithalame" (ce titre ne désigne-t-il pas, d'ailleurs, un poème écrit pour un mariage, moment de "présence" s'il en est !)... Au fil des oeuvres, se découvraient ici une silhouette en filigrane ; là un profil ; ailleurs, fantasmagorique et inattendu dans des compositions de blancs, un "personnage" comparable à ceux que l'on "voit" dans les grands ciels d'été, en surimpression dans les nuages : peut-être est-ce pour cette raison qu'elle a intitulé cette série Surimpressionnismes ?

            Mais ces "apparitions" aléatoires ont dû sembler insuffisantes à quelqu'un d'aussi concerné qu'elle, par l'individu et par le temps dans toutes ses acceptions ! Ces errances "autour de...", mêlées à d'autres subséquentes de la "présence" humaine sous-entendue ; ces écritures non maîtrisables, ou volontairement indéchiffrables pour être laissées à l'état de "signes" -n'excluant pas parfois une approche ludique dans un "monde" (la toile) extrêmement sérieux- ; cette conscience que la matière entrait forcément dans les avancées rythmiques qu'elle souhaitait, ont entraîné l'artiste vers une volonté de partager le temps, en évaluer les divisions : d'où des polyptyques aux éléments inséparables parce que conçus dans des chronologies signifiantes. Ainsi, les douze parties de "C'est la répétition solennelle qui vous amène ailleurs", la conduisent-elles en effet "au bout de l'an", par de petits reliquaires creusés en des "sites" évolutifs de la partie peinte ; confirmés par la présence, dans la partie blanche, -donc "neutre" du support-, d'un reliquaire-redondance / différence où elle nichait des objets disparates allant du caillou usé au portrait, à la feuille fanée, etc. ; et évoluant de la non-présence à l'omniprésence par rapport à la taille de l'oeuvre !

            Puis, de "pensée", de "fantasmatique", la démarche est devenue volontaire : Véronique Lafont s'en est allée là où, par excellence, se trouvent les preuves du passage sur l'homme de ce temps auquel elle s'est colletée ; et les symboles des changements qu'il provoque : dans le columbarium d'un cimetière ! Autre symbole : son appareil photographique : fixer la "trace" (portrait, ex-voto, épitaphes, fleurs...) ; rassembler les évidences des rituels collectifs et individuels ; revenir plus tard, encore et encore, pour revoir ces objets-témoins ; suivre sur leurs surfaces ou leurs contours, l'érosion, la corrosion, la déchirure, la brisure ; le renouveau peut-être, lorsqu'une main amicale avait changé les fleurs ; la tristesse rémanente lorsqu'une autre présence s'était ajoutée aux anciennes... Allait-elle simplement "rendre compte" par une banale compilation, de ces passages chronologiquement établis ? Bien sûr que non ! Jouant les démiurges, Véronique Lafont a brouillé les "pistes", découpant, collant, surimprimant, changeant les "relations" entre les éléments recueillis. Voilà mille "Petits riens" devenus nouveaux Rituels de (sa) mémoire reconstituée, de son autorité désespérée, de sa course ré-intellectualisée en de nouvelles métaphores picturales : un autre "passage du temps", mais néanmoins passage, inéluctablement !

            Ces démarches chargées d'émotion ont-elles été trop prégnantes ? Au cours de ses pérégrinations, l'artiste s'est "rapprochée" du quotidien, en choisissant des matériaux familiers : des bois choisis dans des formats très intimistes, peints, sur lesquels elle fixait ses nouvelles surimpressions de photo sur photo sur..., comme par le même désir de bouleverser les repères, camoufler les signes récurrents, égaliser les éléments, jouer sur l'apparition / disparition des "paysages" vrais remplacés par les siens, fictifs, dans l'espoir, peut-être, qu'ils échapperont à ce temps qui s'en va ! Et puis, de l'ouate, des tissus effrangés, etc. Et c'est là qu'une fois de plus, la petite souris timide qu'est Véronique Lafont, affirme sa grande détermination : elle coud, raccommode, brode tous ces éléments, les consolide en somme !

            Pour qu'ils tiennent bon jusqu'à ce qu'elle ait fini d'explorer sa dernière piste -à ce jour, bien sûr- : de grandes toiles présentant des paysages abstraits aux rythmes de matières très concentrés (tiens ! )... Mais entre l'oeil du spectateur et ces décors, l'artiste a interposé un très matériel châssis ; et cette "Fenêtre complice hivernale" fait toute la différence entre les scènes supposément vides de naguère, et celles d'aujourd'hui. D'autant que sur d'autres oeuvres récentes, le peintre a commencé à mordre à belles dents dans des pommes très concrètes qui partagent l'espace avec des têtes humaines : un nouveau jeu où Véronique Lafont aurait enfin laissé sa place à l'homme ?

Donnons à cette jeune créatrice, le temps de lui laisser, de se laisser, enfin... le temps !

Jeanine Rivais.

CE TEXTE A ETE ECRIT EN MARS 1999.