RETABLES ET FRESQUES MURALES DE ROLAND DUTEL, sculpteur.

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            Autodidacte, Roland Dutel a un jour senti la beauté instinctive de certains objets, usés par des mains insouciantes, ballottés par les vagues, patinés par les siècles... Et réalisé qu’avec ces choses disparates, il pouvait créer des assemblages esthétiques : il faisait désormais partie de la famille protéiforme des créateurs d’Art-Récup. Démarche à laquelle s’est ajoutée une vocation de peintre créant entre ces assemblages, des scènes narratives. Depuis, il a évolué en une oeuvre très colorée, imprégnée à la fois de mysticisme et d’érotisme :

Mysticisme de la lumière, cernée de plombs et de remplages souvent peints, entre lesquels elle paraît jouer comme à travers les vitraux des églises, les jours de grand soleil. Mysticisme généré ici par un arbre qui, tel de celui de Jessé, semble jaillir d’un ventre, et lance jusque dans les nuages son feuillage compact et cruciforme, au sommet duquel se trouve une minuscule statuette ; là par des personnages aux silhouettes très primitives, aux têtes inclinées comme ceux des chapiteaux romans ; ailleurs, par la présence répétitive de petites niches qui, à l’instar des reliquaires, renferment des objets ou des têtes microscopiques. Mysticisme encore né de la récurrence des relations trinitaires de ses personnages, Roland Dutel semblant toujours camper face à ses couples, une troisième figure qui les regarde ; ce qui le ramène une fois encore inconsciemment vers les tableaux religieux du Moyen-âge, et l’entraîne vers un autre aspect de son oeuvre : les tableaux conçus comme des pages d’enluminures longuement décorées ; où la lettrine serait un personnage au visage triangulaire, nez tordu, bouche de travers très maquillée, cheveux hirsutes et gros yeux globuleux, corps/châsse protégeant lui aussi de précieuses reliques composées de masques ou de petits êtres surlignés d’infimes bandes perlées ; tandis que les encadrements seraient constitués de têtes démesurément allongées, s’intercalant entre des individus qui exhibent pour toute couleur une étroite tache noire à la place du sexe...  

            Car, contrepoint peut-être du caractère sacré que Roland Dutel n’accepte pas trop volontiers mais qui revient, obsessionnel et inconscient, la connotation érotique est évidente dans nombre de ses oeuvres : Installés géographiquement comme les précédents, les protagonistes y sont alors tantôt réduits à de grosses têtes aux yeux gourmands dardant leur langue rouge en direction de l’entrejambe d’une femme en posture tellement gymnique qu’elle se retrouve avec un excédent de ses membres exagérément longs ; tantôt étalant sur leurs bas-côtés des jeunes filles nues, seins et sexes en bataille, derrière lesquelles se profilent des silhouettes masculines très stylisées...

            Ces thèmes graves, qui se croisent, se heurtent parfois ou se complètent dans de nombreuses créations hors-les-normes, et dans celles de l’artiste avec une belle fréquence, n’excluent pas l’humour chez Roland Dutel, comme dans cette composition qui pourrait s’intituler “La nef des drôles de nautoniers” : marins aux visages mangés de barbes, chiens léchant ces visages hispides, sirènes et poissons... s’y côtoient sous des mâts incrustés de microscopiques hippocampes et de croix potencées. Comme sur chacun de ces retables tellement personnalisés, l’ambivalence du “dire” du sculpteur est patente, à la fois voyage plaisant au pays de ses fantasmes et passage vers la désespérance de ses limbes privés présagés par de lourds aplats sombres.

            Enfin, émane de ces oeuvres toutes bâties sur des symétries verticales, la poésie innée des gens qui ont le ciel pour ultime but, et l’oiseau omniprésent comme véhicule pour y parvenir ! L’oiseau, autre symbole cher à Roland Dutel, lien entre la terre et le ciel -encore !-générateur des rythmes et du mouvement qui animent ces cadres stricts ; et qui donne à son travail une liberté, une spontanéité et une grande fraîcheur...

            Toutes qualités qui se retrouvent sur les murs de sa maison, à l’assaut desquels il est parti voici dix ans, un jour où l’impossibilité pour l’habitant d’y effectuer des travaux a libéré le peintre-sculpteur qui s’est peu à peu pris au jeu et a transformé des murs anonymes en fresques vivantes et colorées : céramiques et poteries récupérées, bétons intégrés... sont devenus cariatides tête-bêche, monstres-gargouilles, masques grimaçants ou hilares, gentils pierrots blottis sous le manteau d’une cheminée, amoureux tendrement enlacés, ou chat qui se mord la queue...

            Ainsi, tour à tour bâtisseur de l’imaginaire réalisant des sculptures souvent monumentales ; et sculpteur de fantasmagories intimes, Roland Dutel est-il apparemment en perpétuelle mutation ! Pourtant, aucun hiatus entre ces deux créations : au contraire, chaque trouvaille de l’une l’emmène loin, encore plus loin sur le chemin de l’autre !

                                                          Jeanine RIVAIS          

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 67 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA, A LA SUITE DU 4E FESTIVAL HORS-LES-NORMES DE PRAZ-SUR-ARLY.