VOYAGES A TRAVERS LES LIEUX FANTASMATIQUES DE BENEDICTE BUCHER, peintre

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          Fascinée par les attitudes de la danse qu'elle a pratiquée pendant plusieurs années,  a commencé par couvrir ses toiles de larges aplats presque abstraits, "traversés" de silhouettes floues extrêmement mobiles : peut-être ces profils animés compensaient-ils dans son esprit, voltes et entrechats exécutés naguère par le petit rat qu'elle avait été ? 

          Aujourd’hui, lassée de ces sarabandes exécutées dans un style pas tout à fait novateur ; comme si elle regrettait de s’être trop longtemps laissée prendre au poids des influences picturales et de ses souvenirs, elle a affirmé son talent, s’est lancée dans des œuvres figuratives dont la caractéristique essentielle reste la mobilité ; et résolument oniriques.     

         Là, commence le véritable voyage hors-les-murs d’une artiste qui met désormais en scène des "lieux" où se déroulent des "aventures", sans souci de perspective, de proportions, de réalisme : Des personnages y vaquent à leurs occupations quotidiennes, y exhibent leurs corps nus, rebondis et fortement sexués, sans que le peintre se préoccupe vraiment de précision anatomique, indifféremment humains ou animaux, dans une connivence échappée de quelque recueil de fables, serrés, accrochés, côte à côte ou face à face dans des promiscuités bon enfant. Tout ce petit monde à la fois familier et surprenant a l’air de flotter, sans point d’ancrage, comme en suspension dans un cadre irréel. Ici, une tête énorme émerge d’une toiture, là, une funambule géante jongle avec des crânes, ailleurs, des maisons déséquilibrées s’éjectent comme des fusées, etc.… Ces détails hors mesure, hors harmonie ajoutent au dépaysement du spectateur, le confrontent à l’imaginaire d’une artiste qui, ayant peint depuis l’enfance, amalgame réalité et contes de fées, prolonge des réminiscences très fortes et déjà un peu imprécises ; enrichit de connaissances accumulées au cours de ses voyages, ses ethnologies si particulières…                                                                             

         Le tout réalisé dans des ocres allant du clair au brun, qui font ressortir des jaunes où vibrent ponctuellement sur les visages, quelques touches de blanc. Ils font palpiter les nuages vert émeraude qui baignent dans leurs vapeurs sulfureuses, les villages en lévitation ; soutiennent dans les cités surpeuplées les rougeoiements des incendies ;  dans les arènes bondées, les déferlements de la foule en liesse… Un travail exécuté à l’huile, avec les doigts, à petites touches léchées, passées et repassées pour récupérer et exploiter les coulures, adoucir la netteté du précédent apport de peinture, générer progressivement le flou évoqué plus haut : partir de ce fait vers un univers jovial, ludique, chaleureux et primitif.     

         Bref, avec les compositions fantaisistes et fantasmatiques de chacune de ses toiles, Bénédicte Bucher ne ferait-elle pas, à l’instar d’un de ses angelots, un pied de nez à notre monde trop raisonnable ?                                              

  Jeanine Rivais

Texte écrit en 1996.