DE LA RECUP' A L'ART ou LAURENCE CAPPELLETTO, récupératrice et assembleuse

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L'Art-Récup', la récupération d’objets qu'un artiste va combiner pour en faire des œuvres d'art, est une technique récente, apparue dans l'orbe de notre société actuelle, profitant de son laisser-aller de surconsommation et de gaspillage. Des œuvres, donc, faites de matériaux de récupération, puisés dans les reliefs d’un passé industriel quasi-disparu mais auquel ils donnent à nouveau vie ; où se mêlent le fer, le bois, le verre, et tous autres matériaux qu'une imagination hors-normes fait s’entremêler pour mieux surprendre le regard du visiteur. Dès lors, chacun peut mesurer le chemin parcouru depuis Marcel Duchamp qui fut l'un des premiers à récupérer pour ses "Ready-made" ! Et surtout, être reconnaissant envers les malades mentaux qui, depuis nul ne sait quelle nuit des temps, ont créé de petites merveilles en bois, papier, mie de pain… tous matériaux qu'ils découvraient derrière les murs de leurs asiles ! 

Bien que l'Art-Récup' soit devenu un art populaire, il va de soi que chaque artiste acquiert sa spécificité : Untel fabriquera des machines ; un autre, des animaux ; un autre encore des personnages… Pour ce faire, les pièces détournées de leur fonction primitive sont intégrées dans la sculpture, non pour recréer l'objet préexistant, mais pour créer une vérité nouvelle, originale et personnelle. 

"En attendant"
"En attendant"

Ainsi, Laurence CAPPELLETTO a-t-elle choisi un mélange d'humains animaliers, et d'animaux humanoïdes ! Donnant de ces êtres qu'elle appelle des "Zibrides", des images qui, au premier regard, peuvent parfois sembler communes, comme cette "chèvre" "Attendant", assise sur son derrière pointu, ses jambes grêles comme des pattes de sauterelles largement écartées, humant un bouquet de roses. Mais, au fil des années,  elle a si bien su voir les choses habituelles avec un œil neuf, poser un autre regard sur elles, donner au réel une autre saveur, entrevoir d'autres possibles que, finalement, ses œuvres se révèlent complexes, profondes, chargées de sens et d'humanité. 

"La Baignoire" et les deux plus gros moustiques du monde
"La Baignoire" et les deux plus gros moustiques du monde

Il faut dire que cette artiste sait aussi à la perfection mettre en scène ses personnages : calant dans un pédiluve une sorte de petit monstre indéfinissable avec sa poupée, un homard lui chatouillant les pieds. Faisant chevaucher par "La Chouette d'Athéna", ravissante écuyère à tête de poupée Barbie et somptueuse chevelure mais jambes énormes, un oiseau bleu à trompe, à la tête ornée de pierres précieuses. Plaçant côte à côte les deux plus gros moustiques du monde, l'un doté d'un anus-trompe, l'autre à pattes terminées par des sabots fourchus… On pourrait ainsi énumérer à l'infini les êtres étranges conçus par l'imagination fertile de Laurence Cappelletto  qui font que le visiteur entrant dans son "espace" a la sensation de pénétrer dans des coulisses de théâtre, ou dans quelque salle de collection animée par un savant fou ! 

"L'Insecte" et "Le Pendu"
"L'Insecte" et "Le Pendu"

Mais les œuvres de cette artiste vont beaucoup plus loin : Par une sorte de conscience, de philosophie très personnelle, la mort est omniprésente dans ses œuvres ! La mort parfois effrayante, comme pour "Le Pendu", lorsqu'elle est totalement faite d'os. D'autres fois repoussante lorsqu'elle danse sur un grimoire dont on peut supposer qu'il renferme quelques recettes maléfiques. Mais la plupart du temps, elle se présente sous l'aspect de beautés féticheuses, comme dans "Les Liaisons dangereuses", enjuponnées de tissus veloutés ; coquettement parées parfois de massives boucles d’oreilles de métal ou de colliers de perles ; coiffées de capelines aux longues cornes... Ou plus primitives, couvertes de pilosités surprenantes. Les poils, accentuant la connotation maléfique, jalonnent les créations de Laurence Cappelletto, si abondants parfois, que de "L'Insecte", par exemple, ne surgit qu'un visage brun aux antennes de capricorne... 

   Ainsi, tour à tour ludique, humoristique, serein ou dramatique, raisonnable ou d’un imaginaire débridé, l'ensemble de cette oeuvre est éminemment grave, imaginatif et insolite… Mêlant esthétisme et originalité, la créatrice se débat-elle ? joue-t-elle ? parmi ses créatures mi-humaines, mi-fantasmagoriques ; en une démarche où rôde la mort. Où vaillamment se défend la vie. Où les matériaux sont transcendés. Où la poésie jaillit de partout. Confirmant par les conjonctions esthétiques de ces éléments disparates, qu’elle possède une grande maîtrise de l’infime détail, un grand savoir-faire, une puissance et une sobriété remarquables ; qu’elle est en somme une archéologue talentueuse dont les vestiges ne sont encore que partiellement découverts !  

Jeanine Rivais

CE TEXTE A ETE ECRIT EN NOVEMBRE 2015, SUITE A LA VIe BIENNALE HORS-LES-NORMES DE LYON.

"La Chouette d'Athéna", et  "Lilie la Pointeuse"
"La Chouette d'Athéna", et "Lilie la Pointeuse"