JEAN-LOUIS FARAVEL FONDATEUR ET ANIMATEUR DE LA BIENNALE D'ART PARTAGÉ.

Entretien avec Jeanine Rivais.

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vernissage discours de jL Faravel et l'Attachée culturelle de rives
vernissage discours de jL Faravel et l'Attachée culturelle de rives

Jeanine Rivais : Jean-Louis Faravel, vous venez d'inaugurer à Rives, la troisième Biennale de l'Art partagé : qu'est-ce qui vous a poussé à créer cette manifestation dans une petite ville qui semble a priori tout à fait acculturée ?

            Jean-Louis Faravel : œil-art a crée l’art partagé à Rives. La municipalité a cru en notre projet en nous apportant un accueil favorable et une aide qui nous ont permis d’envisager la 1ère édition en 2006. L’association œil-art dont l’objet est d’assurer la promotion des artistes et des artistes handicapés est née cette même année. La première action a été donc de mettre en présence des travaux de ces deux publics de créateurs avec un fil conducteur : le partage.

            JR. : Qu'entendez-vous par "partage" ?

            JL.F. : Il s'agit du partage dans tous les sens du terme : on partage un espace en faisant se côtoyer des travaux, des compétences, des points de vue…

            Avant de m’installer à Rives et lorsque j’étais encore en activité professionnelle, je n’avais que très peu de temps disponible et je dois avouer que je n'étais pas très sensible à l'art. Je ne prenais pas le temps de le regarder et par conséquent de l’apprécier. Marie-Jeanne avait été invitée au premier Festival d'Art brut à Aimargues, à côté d'Aigues-Mortes, animé de conférences sur l'Art brut, d’expositions apparemment intéressantes (j'ai même retrouvé des artistes qui avaient exposé là-bas)… Et moi, je suis allé me baigner, car je n’étais pas sensibilisé à cette forme d’expression. Néanmoins, je voyais que tous ces artistes galéraient ! J'ai toujours pensé qu’un très bon créateur ne pouvait pas être un vendeur. Car lorsque l’on doit faire les deux il risque d’y avoir une influence qui agit sur la création spontanée d’une part et si l’on est performant dans un des deux domaines, il est extrêmement rare de l’être dans les deux.

            Donc, je me suis dit que, le jour où j'aurais du temps, j'aiderais les artistes à montrer leur travail. Sans rien leur demander. Parce que je connais trop d’organisations d’expositions où les artistes sont invités, lorsqu’ils acceptent ils sont obligés de payer ici cent euros, là cent-cinquante… Ils sont trop souvent sollicités avec des contreparties financières démesurées en rapport à l’offre faite, ce sont eux qui financent l’exposition sans aucune garantie. Ils prennent les risques à la place de l’organisateur. Souvent ce sont des expositions qui n'en valent même pas la peine car aucune promotion sérieuse n’est réalisée. Et je ne parle pas des lieux qui sont à l'autre bout du pays, où l'on demande "de faire des petits prix" et où un pourcentage de 30% sur les ventes est retenu en supplément des frais de catalogue et d’inscription.

            Je me suis dit qu'il n'était pas question de fonctionner de cette façon. Et j'ai créé un évènement. J'ai organisé la première Biennale avec mes deniers personnels avec une aide de la ville de Rives. Je me disais "si ça marche, très bien ; dans le cas contraire, j'aurai dépensé mon argent personnel" ! Tout s'est très bien passé. J'ai donc continué mes prospections, nous sélectionnons les artistes et en général, nous les rencontrons…

 

            JR. : Vous avez évoqué l'association de départ, que vous avez intitulée "Œil-Art". Quelle définition donnez-vous de ce mot-valise ?

            JL.F. : C'est "une autre vision de l'art". Voir l'art autrement. Ne pas rester dans les cheminements de l'Art conceptuel ou autre. Petit à petit, je me suis exercé l'œil, je me suis imprégné de ce type de travail.

vernissage quelques artistes présents autour de jl faravel et j rivais
vernissage quelques artistes présents autour de jl faravel et j rivais

JR. : Il me semble que beaucoup d'artistes exposés ici –handicapés surtout- viennent de Belgique. Pourtant, en France, il y a les CREAHM qui fonctionnent de la même façon, puisqu'ils sont partis de ce pays.

            JL.F. : Citez m'en un qui fonctionne ?

 

            JR. : J'en connaissais un dans le Midi, près d'Avignon.

            JL.F. : il a fermé ses portes et n’est plus en activité. En Belgique, il existe une vraie culture artistique. Il y a de nombreux centres ou un atelier fonctionne avec un responsable d’atelier plasticien professionnel. Je les appelle des découvreurs de talents, car ils savent déceler des talents naissants. J’ai noué de très bons contacts avec eux c’est pour cela que vous voyez des travaux en provenance de ce pays. A l'origine, j'ai eu des contacts avec un Centre en Allemagne, je suis allé dans les ateliers, j'ai acheté des œuvres parce que j'ai eu un déclic en découvrant le travail qui était réalisé. Il y avait une force que je ne soupçonnais pas auparavant et cela a provoqué en moi une certaine émotion.

            Ces structures existant en Allemagne, j'ai donc supposé qu'elles devaient également exister en France. J’ai recherché des lieux similaires et n’en ai pas trouvé. Hélas en France, les ESAT (anciennement CAT), n’avaient pas cette notion culturelle avec des structures et obligations en rapport à ce que j'avais trouvé en Allemagne.

            Et pourquoi existait-elle en Allemagne ? Le centre en Allemagne avec qui j’étais en contact avait des personnes handicapées dont le travail était de créer et dessiner. Ils arrivaient le matin à l’atelier et travaillaient, certaines personnes avaient un travail et venaient à l’atelier seulement certains jours. Le responsable de l’atelier était un artiste à l’origine, il a cru au projet d’un atelier à tel point que lorsqu’il a envisagé de réaliser un premier catalogue avec la présentation des artistes et de leurs œuvres, il nous a dit avoir participé personnellement à son financement. En Belgique, j’ai retrouvé le même mode de fonctionnement avec des contacts plus en adéquation avec notre culture.

            En France, les ESAT ont des heures de soutien ; Le premier Centre que nous avons visité, était en savoie. 2 heures de "soutien" par semaine à des personnes handicapées qui réalisaient du très beau travail. Et puis, lors de notre visite, on nous montre des œuvres entassées dans un cagibi ! De pures merveilles ! J'étais fou ! Hélas, ils ne pouvaient pas les vendre, ils ne savaient même pas qui les avait faites. Que va-t-il advenir de ces œuvres ? Elles seront probablement jetées, « ou oubliées » dans un coin…. ! D'autant qu'il semble bien que le directeur n'avait aucune empathie avec ces créations ! Nous devions le rencontrer mais à l’heure du rendez-vous il est parti en demandant à la secrétaire de s’occuper de nous !

            La commercialisation des œuvres en France, jusqu'à présent était très difficile. Il faut savoir que les œuvres appartiennent au créateur. Lorsque l’on veut vendre une, il faut l’accord du tuteur. Nous avons par exemple un atelier représenté dans notre biennale qui nous a demandé au dernier moment de ne pas vendre des petites sculptures qui nous avaient été confiées car les parents ne voulaient pas.

Il y a quand même certains centres qui commencent depuis quelques années à fonctionner comme en Belgique par exemple. Les œuvres des ateliers sont proposées à la vente. L’aspect « droit à l’image » est beaucoup plus strict en France ce qui restreint la marge de manœuvre pour la commercialisation.

            JR. : Je ne le connais pas. Je connaissais autrefois les animateurs du Parc Lavroy, j'avais fait une longue interview avec Catherine Schmidt, à l'époque où le musée de l'Art différencié était à Bruxelles, et une autre avec Françoise Henrion, lorsqu'elle dirigeait le Musée de l'Art en marge. J'ai rencontré à Bègles des gens de La Pommeraie, mais je ne les connais pas bien.

            JL.F. : Le terme "Art différencié" a été inventé par Luc Boulanger (d’après ce qui m’a été confié) qui fait partie des créateurs du Creahm à Liège. C'est même lui qui avait créé celui du Midi. Il a eu de grosses difficultés, je crois d’ordre financier ainsi que des demandes de mises aux normes des lieux occupés où il lui était impossible de faire face le Creahm-Provence a dû fermer ses portes ! Je ne connais pas Luc Boulanger ce propos m’a été rapporté par des personnes avec qui il est toujours en contact.

vernissage quelques vues du public présent
vernissage quelques vues du public présent

JR. : J'en conclus que j'ai suivi son histoire au bon moment !

 

            JL.F. : Pour l’art partagé, nous devons faire face à un budget qui devient important. La ville de Rives nous accorde une subvention. Nous attendons la réponse du Conseil Général qui tarde à venir. Je suis inquiet car nous sommes dans une période ou une grande partie du public que nous visons est touché de plein fouet par la crise. Heureusement que notre association organise d’autres événements dans des entreprises qui nous rémunèrent, ce qui nous permettra en cas d’échec (ventes et certaines subventions) pour l’art partagé cette année de couvrir les frais.

 

            JR. : Je voulais tout de même dire que j'ai été impressionnée par le fait qu'hier hoir, l'adjointe au Maire et Attachée culturelle de Rives, soit restée toute la soirée. C'est une des rares fois où je vois un Attaché culturel qui ne se contente pas de faire un petit tour officiel avec l'organisateur, mais reste toute la soirée. Et cette dame était très "présente". Elle parlait avec les gens, et elle était très visiblement intéressée par l'exposition.

            JL.F. : C’est vrai l’adjointe à la culture de la ville de Rives est très présente, elle soutient très bien notre action auprès du conseil. Monsieur Alain Dezempte Maire de Rives est d’habitude présent au vernissage, je l’ai rencontré hier et il s’est excusé de ne pouvoir être présent car il avait une petite intervention chirurgicale ce même jour.

            JR. : Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose sur vos choix personnels pour l'exposition ou sur quelque autre sujet ?

            JL.F. : Je voudrais dire combien je suis heureux d’avoir pu présenter des sculptures réalisées par Cell’art group. Elles nous ont été prêtées pour les montrer pour la première fois en France. Ces œuvres ne sont pas destinées à la vente car la récente reconnaissance du centre en tant que « Arts et Marges Muséum » comporte une nouvelle responsabilité : la conservation des œuvres.

 

            JR. : Oui, et il est aussi tout à fait exceptionnel qu'un lieu associatif ait droit de devenir "musée". Je me souviens très bien que, dans l'entretien que j'avais réalisé autrefois avec Madeleine Lommel, elle expliquait longuement le mal qu'ils avaient eu à obtenir le label "Musée" !

            JL.F. : Il n’était pas évident de pouvoir disposer de ces dix-sept sculptures. Je dois les restituer dès la fin de l’exposition, mais quel bonheur de pouvoir montrer des œuvres d’un tel niveau !

Entretien réalisé à Rives, dans la salle François Mitterrand, le 24 octobre 2010.    

Voir aussi les pages "Artistes d'Art singulier" et "Artistes d'Art brut".

Photos Bernard Pilorgé et Marie-Jeanne Faravel.