LAURENTIU DIMISCA , peintre

Entretien avec Jeanine Rivais.

Dimisca étant roumain, et ayant des difficultés avec le français, a été aidé, au cours de cet entretien, par un de ses amis.

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dimisca
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Jeanine Rivais : Dimisca, vous êtes roumain : comment vos origines ont-elles influencé votre création ?

            Laurentiu Dimisca : Il y a peut-être une influence involontaire, parce que j'habite au nord de la Moldavie, région très connue pour les fresques extérieures, les églises byzantines, peut-être même les icônes. Car je fais des icônes, j'ai finalisé deux sections artistiques : la peinture et toutes sortes de techniques différentes : la fresque, l'icône sur verre ou sur bois, etc. Les vitraux également. Je pense que mon style s'est formé à partir de toutes ces influences. En tout cas, vous pouvez découvrir tous ces aspects dans mon œuvre.

 

            JR. : Justement, si je vous demandais de la définir, que répondriez-vous ?

            LD. : Mon œuvre est comme la vie : simple et compliquée.

 

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JR. : Il est vrai que vos œuvres fourmillent de personnages, je dirai qu'elles sont même surpeuplées.

            LD. : Oui, c'est comme dans la vie. J'aime beaucoup la narration. Créer des histoires. C'est pourquoi je couvre entièrement chaque petite place du tableau. Mais il y a des œuvres qui sont très simples : tout dépend de mon humeur. Quand je veux expliquer, dire beaucoup de choses, je couvre toute la toile. J'aime beaucoup procéder ainsi. Je pense que mon style est très explosif. J'aime choquer les gens. Mais si vous restez un moment devant un tableau, vous découvrez que mon style n'est pas compliqué.

 

            JR. : Dans certaines de vos peintures, vous avez un personnage cerné par une foule ; ou bien au contraire, sur d'autres, vous avez une immense tête remplie de têtes plus petites. Quand décidez-vous de mettre la foule autour du personnage, et quand l'inverse ?

            LD. : Je pense que chacun de nous a une histoire intérieure. Je dessine cette histoire intérieure, ou bien je dessine une histoire extérieure. C'est comme les esprits et les corps. D'abord chacun sent l'histoire en lui, puis il ouvre l'histoire. En général, ce qui compose une histoire, c'est la spiritualité, le sacré, et le corps. Mais dans mes peintures, j'ai découvert la sensibilité, le sentiment, la relation à n'importe quelle religion, la réaction à toutes les choses que l'on découvre dans la vie.

 

            JR. : Juste devant nous, nous avons une immense tour : c'est la Tour de Babel ?

            LD. : Non. C'est un autoportrait volant. C'est comme une nécessité : tu travailles beaucoup, tu as besoin de liberté. Chacun a toujours besoin de liberté. Mon autoportrait volant est comme un gratte-ciel d'où tu as besoin de t'évader. La société te transforme en robot, mais la culture, la peinture te transforment en homme spirituel. L'homme a besoin d'art, parce que sans art, sans culture, il n'est rien.

 

            JR. : On pourrait donc dire que certains tableaux portent une critique sociologique ?

            LD. : Oui. On peut parler de l'énergie qui se dégage de mes tableaux. J'essaie toujours d'en dégager l'humain, l'énergie positive, parce que nous n'avons pas besoin d'énergie négative. On peut rester égoïste, ne pas avoir besoin des autres. C'est pourquoi je veux exprimer l'optimisme, le positivisme. Dans un monde difficile !

 

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JR. : Vous avez dit : je suis enfermé, j'ai créé ce gratte-ciel pour pouvoir m'échapper. Mais il me semble que vous avez beaucoup de moyens de locomotion dans vos œuvres (bateaux, voitures, etc.) Choisir cette tour de béton signifie-t-il que vous vous échappez physiquement ; mais que, mentalement, vous restez enfermé ?

            LD. : Tout le monde fait des promenades dans la vie. Un de mes cycles se rapporte à la voiture : l'homme passe la moitié de sa vie dans sa voiture. Pour découvrir le monde, il faut des moyens de locomotion. Les objets de locomotion font partie de la vie de chacun.

 

            JR. : En même temps, la télévision est souvent présente. Et si je considère plusieurs tableaux à la fois, les uns où l'on voit des gens bouche bée devant une énorme paire de seins qui occupe l'écran ; les autres où des gens masqués sont placés dans la même position sans que l'on sache ce qu'ils regardent. Pourquoi les uns sont-ils masqués, et les autres non ?

            LD. : J'ai voulu représenter la manipulation des gens par la télévision où est présentée beaucoup de sexualité. Alors qu'autrefois, les gens passaient leur temps à découvrir la nature, par exemple. Ils sont devenus esclaves de la télévision. Et puis, ceux qui portent des masques d'animaux sont là pour dire qu'en chaque personne sommeille un animal. J'avais fait un tableau intitulé "Je suis un bœuf", parce que c'est une expression universelle : les garçons s'exclament "Oh ! Je suis un bœuf", et les filles "Oh ! Je suis une vache". Tous les aspects négatifs de l'homme ont leur équivalence chez les animaux.

 

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JR. : Vous avez commencé à peindre en Roumanie. Y a-t-il aussi un courant d'Art singulier, en Roumanie ?

            LD. : Non. J'ai organisé un festival d'Art singulier international en Roumanie, avec le Musée de l'Art en Marche de Lapalisse. J'ai fait mon doctorat sur le thème de l"Art brut". C'était pour faire connaître l'Art brut et l'Art singulier que j'avais organisé cette exposition. Parce que c'est un art sincère, sans normes, qui exprime la liberté de création. Je veux continuer de promouvoir ce genre d'art, créer un petit musée, un petit centre culturel où j'inviterais des artistes pour constituer une collection d'Art singulier.

 

            JR. : Justement, nous nous étions déjà rencontrés lors de l'Assemblée générale de l'Art en marche. Et il m'avait semblé comprendre qu'avec Luis Marcel, vous aviez l'intention d'organiser une grande exposition. C'est celle dont vous parlez ?

            LD. : Oui. J'ai déjà organisé trois expositions en Roumanie, avec les œuvres de cinq artistes internationaux : l'une dans ma région, à Piatra Neamt ; puis dans un musée d'histoire à Bistrita qui a bien voulu accepter des artistes autodidactes, alors que c'est très difficile de changer les mentalités en Roumanie où le terme "autodidacte" est synonyme d'"amateur". Et enfin, en Transylvanie à Cluj-Napoca où j'ai fait présenter l'exposition qui se déplace depuis des années sur "La vigne et le vin". Je suis en train d'essayer à Bucarest.

 

            JR. : Y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je pose et que je n'ai pas posées ? D'autres thèmes que vous auriez aimé aborder ?

            LD. : Nous aurions pu parler de l'érotisme dans mon travail ?

 

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JR. : Si vous le souhaitez. Ceci dit, je ne le trouve pas vraiment dans vos œuvres.

            LD. : Et puis, tous les artistes, comme Van Gogh, Rembrandt… ont fait leur autoportrait. Avant, je pensais que c'était très narcissique, mais je ne le crois plus. Ni égocentriste. Je trouve bien que les artistes fassent des autoportraits, comme Rembrandt qui, jeune, en a fait un très vivant, et qui après la mort de ses proches en a peint un très triste. Van Gogh, et sa fameuse oreille coupée. Et Victor Brauner et son autoportrait sans yeux qui, après coup, a semblé prémonitoire !

            Après, j'ai découvert l'Art érotique, par exemple celui qui est présenté au Musée de l'Erotisme à Paris. Où, sur six étages, des artistes parlent de ce sujet tabou.

 

            JR. : Mais, du moins dans ce que vous avez apporté, je ne vois pas d'érotisme. Je vois de la tendresse, comme par exemple ce cœur qui est au milieu d'un tableau.

            LD. : Non, l'érotisme est spécial.

 

            JR. : Vous voulez dire que, dans votre œuvre, il y a aussi une partie érotique que vous ne présentez pas ici ?

            LD. : Oui, parce que l'érotisme rejoint les aspects du profane et de la sacralité. Je fais aussi des icônes semblables aux icônes byzantines… Tout cela est important pour moi parce que je peux exprimer comme je le veux le profane et le sacré dans mes œuvres : je peux m'exprimer en toute liberté.

            Je trouve qu'avec leur imaginaire, les artistes peuvent explorer tous les aspects du monde.

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JR. : Vous êtes originaire de ce que l'on appelait autrefois "les pays de l'Est". C'est-à-dire des pays où la création était très réglementée, normalisée, très répétitive pour toutes ces raisons, et sans grande originalité : y avez-vous maintenant totale liberté de création ?

            LD. : Dans l'ensemble je ne sais pas. Mais dans l'université d'art où j'ai étudié, on m'a laissé absolument toute liberté. Je pense que j'étais dans une bonne école, où circulait une bonne information, transmise par de bons professeurs. Ensuite, mon style s'est construit selon mon désir.

 

            JR. : Vous êtes donc tout à fait libre de créer, exposer…

            LD. : Non, pas tous les artistes. Moi, j'expose à l'étranger pour faire connaître on œuvre.

 

            JR. : Vous avez donc un œil tout neuf sur le Grand Baz'Art à Bézu. Que pensez-vous de ce festival ?

            LD. : Je pense que ce genre d'exposition est très intéressant, et que l'ambiance entre les artistes est vraiment sympathique. Maintenant, nous attendons le public.

 

            JR. : Assurément, il sera là. En tout cas, il est venu en foule l'année dernière.

            Cet entretien a été réalisé au Grand Baz’Art à Bézu, le 16 mai 2010.